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sont l'objet ne sauraient s'en fâcher. Tarn Samson ne put en vouloir à Burns d'avoir écrit son élégie; ni Tam de Shanter d'avoir raconté son aventure. Si le D"" Hornbook eut plus de mal à digérer les confidences de la Mort, c'est que les médecins supportent peu qu'on parle mal de leur art; Fagou trépignait quand de Brissac se moquait de la médecine devant Louis XIV ^ L'humour de Burns ne laisse pas d'arrière-goût, comme ces rires acres qui font qu'on s'arrête brusquement , étonné de rire. Ce n'est pas un fruit plein de cendres , ramassé sur des grèves amères. C'est un fruit sain tombé de l'arbre bienfaisant de l'Insouciance. S'il n'en tombait de temps en temps de cette espèce , l'homme mourrait de mélancolie.

Naturellement, cet humour ne porte ni sur des vices, ni sur des travers ou des ridicules. Il n'a aucune prétention morale , aucune visée critique, comme ceux de Swift , d'Addison ou de Thackeray , si divers à d'autres égards. Il ne songe ni à donner des leçons , ni à infliger des réprimandes. Il est aussi désintéressé que celui de Sterne. Il recherche bonnement des situations comiques et des aventures drola- tiques. Burns n'est ni un pamphlétaire , ni « le prédicateur de tous leS jours » dont parle Thackeray ; c'est un artiste qui s'amuse de ce qu'il voit.Il saisit au passage une anecdote réjouissante, un incident saugrenu, et les rend tout vifs. Il a presque l'humour d'un peintre, non pas d'un peintre moraliste comme Hogarth , mais d'un peintre purement pittoresque comme Téniers ou Van Ostadt. C'est l'homme qui, ayant aperçu quelque chose de divertissant et en riant encore, arrive le raconter. Et, en effet, la plupart de ses pièces humoristiques sont le récit d'une rencontre, d'une aventure, une de ces histoires comme il s'en débite aux foires et aux marchés, au milieu d'un cercle de figures cramoisies, boursouflées et prêtes à craquer de rire. L'observation, qui a sa netteté accoutumée, porte sur les gestes et les paroles de« personnages, comme il convient dans des récits. Tout est en faits et en actions. Aucun humour n'est plus nourri de ces détails particuliers et pittoresques que Jean-Paul considère juste- ment comme indispensables.

A ces qualités s'ajoute le mouvement, si puissant chez Burns. Il s'empare d'elles, les entraîne, les pousse, les émeut, les anime, les fouette. Cette gaîté, si allante d'elle-même, se presse, s'échauffe et se hâte encore. Les détails sont serrés, se bousculent, se heurtent, montent les uns sur les autres, comme des moutons sortant d'étable. Cela marche, court, se précipite ; le récit en prend une musique qui le complète ; le rire en sort de tous côtés, s'accroît d'une sorte de vitesse acquise, éclate dans une turbulence de gaîté et devient irrésistible ^.

1 Saint-Simon. Mémoires.

2 Jean-Paul Richter a finement remarqué : » Le mouvement et surtout le mouvement rapide, ou le repos à côté de ce dernier, peuvent contribuer à rendre un objet plus comique, comme moyen de rendre l'humour saisissable par le sens ». Poétique § 35.