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endroit, car la punition aurait été plus complète. Perdre la queue de sa jument est sans doute quelque chose, mais s'en justifier à sa femme est bien plus terrible. Peut-être Tarn aurait-il volontiers donné avec la queue la crinière, pour voir ce qu'il avait vu. Le moment pénible était l'explication à Kate. C'est cela vraiment qui peut ^^irder les gredins comme Tam de boire, et leur purger la cervelle de chemises courtes pour le reste de leurs jours.

Au sujet de cette pièce, si remarquable dans l'œuvre de Burns, les cri- tiques diffèrent. Les uns la considèrent comme son chef-d'œuvre. C'est l'avis de Lockhart et de beaucoup d'autres ^ Carlyle, au contraire, s'étonne de la haute faveur dont elle jouit : « C'est moins un poème, dit-il, qu'un morceau d'étincelante rhétorique, le cœur et le corps de l'histoire reste dur et mort. » Il reproche au poète de n'être pas remonté, de ne pas nous avoir emportés dans cet âge sombre, sérieux, étonné, oîi on croyait à la tradition, et oii elle avait pris naissance, de n'avoir pas touché « cette corde mystérieuse et profonde de la nature humaine qui jadis répondait à ces choses, qui vit encore en nous, et qui y vivra à jamais. » Il incline à croire que cette pièce aurait pu être écrite par un homme qui, en place de génie, n'aurait eu que du talent. Il ajoute qu'il lui préfère le poème des Joyeux Mendiants dont nous allons parler un peu plus loin ^. Sur ce dernier point, nous serions d'accord avec lui. Pour le reste, il nous semble qu'il reproche injustement à Burns de n'avoir pas fait autre chose que ce qu'il a voulu faire. Il aurait désiré une reconstitution de l'état d'esprit, superstitieux et toujours surpris, du temps jadis, faite avec sérieux et respect. Burns n'y pouvait pas songer. Lui qui n'a jamais vu que la vie contemporaine, et dont le mérite est de l'avoir vue nettement, a rendu la superstition comme elle existait autour de lui : ni tout à fait maîtresse, ni tout à fait morte. C'est ainsi qu'elle se montrait par moments en lui-même. Parlant des contes de revenants et d'esprits qu'une vieille femme lui avait faits dans son enfance, il ajou- tait : « Cela eut un effet si fort sur mon imagination que, même à pré- sent, dans mes promenades nocturnes, je suis parfois sur le qui-vive dans les lieux suspects ; et bien que personne ne puisse être plus sceptique que moi en pareille matière, j'ai besoin d'un effort de philosophie pour secouer ces vaines terreurs.^ » Cet effort de philosophie n'était pas à la portée de tous les paysans. La nuit , dans un orage , il suffisait d'une lumière inexpliquée , d'un bruit étrange , pour qu'ils fussent repris des anciennes terreurs. Dans une tête, oîi les facultés de contrôle sont désemparées et les facultés d'imagination surexcitées par la boisson ,

1 Lockhart. Life of Burns, p. 209.

2 Carlyle. Essay on Burns.

3 Autohiographical Lelter to D>' Moore.