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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/164

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aucun degré de mérite. Bien que nous ayions des tragédies écrites par des Ecossais , nous n'avons pas de comédie , excepté le Noble Berger de Ramsay ; et bien que nous ayons des romans de sentiment, nous n'en avons pas d'humour. »

L'auteur de l'article avait raison en ce qui concernait la littérature savante de son pays. Il n'était pas étonnant qu'elle manquât de l'élément concret et direct dont vit l'humour. Elle était générale, abstraite, et cosmopolite, o II est curieux de remarquer, écrit Carlyle, que l'Ecosse, si pleine d'écrivains, n'avait pas de culture écossaise, pas même de culture anglaise. Notre culture était presque exclusivement française. C'était en étudiant Racine et Voltaire , Batteux et Boileaii, que Kames s'était exercé à être un critique et un philosophe. C'était la lumière de Montesquieu et de Mably qui guidait Robertson dans s«s spéculations politiques ; c'était la lampe de Quesnay qui avait allumé la lampe d'Adam Smith. . . Jamais peut-être il n'y eut une classe d'écrivains si clairs et si bien ordonnés, et cependant si totalement dénués, selon toute apparence, de toute affection patriotique, bien plus, de toute affection humaine quelle qu'elle fût.*» Quoi d'étonnant à ce qu'on ne trouvât pas d'humour dans leurs écrits? C'était une littérature qui ne se particularisait pas. Elle n'avait rien d'indigène , aucun goût de terroir. Elle manquait de pittoresque et de vie.

De là vient l'opinion que les Ecossais étaient incapables d'humour. Charles Lamb l'a appuyée dans un essai charmant oii il oppose l'esprit calédonien, affirmatif et absolu, à l'esprit qu'il appelle anti-calédonien, esprit de fantaisie, qui se contente d'aperçus, de germes, de doutes, de crépuscules de vérités. « Avant tout, défiez-vous de toute expression indirecte devant un Calédonien. Mettez un éteignoir sur votre ironie , si malheureusement il vous en a été accordé une veine. » Il rapporte comme exemple qu'il se trouvait un jour dans une réunion d'Ecossais oîi un des fils de Burns était attendu. « Je laissai tomber une sotte expression que j'aurais bien voulu que ce fut le père au lieu du fils. Sur quoi quatre d'entre eux se dressèrent en même temps, pour m'informer que c'était impossible puisqu'il était mort.^ » Cette réputation des Ecossais s'est propagée. Elle a fini par trouver une formule définitive dans le célèbre mot de Sydney Smith « que, pour faire entrer une plaisanterie dans la tête d'un Ecossais, il faut une opération chirurgicale. »

Si on ne trouvait pas l'humour , c'est qu'on le cherchait là oii il ne saurait exister, dans une littérature raréfiée et dépouillée de pittoresque. II suffit de lire Ramsay et Fergusson , le Noèle Berger du premier et

1 Carlyle. Essay on Burns.

2 Charles Lamb. Easay on imperfect Sympathies. Swift avait fait une remarque analogue sur la conversation des Écossais, voir ses Hints touards an Essay on Conver- sation.