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loppera chez la fille, quand la mansuétude et le quelque chose de tendre de la jeunesse l'auront quittée, et que les années de la volonté seront arrivées ?

Et ce ne sont là que les personnages et les scènes en saillie. Derrière eux, il y a une véritable multitude, une vraie cohue d'indications, noms propres, professions, réunions. Qu'on n'oublie pas, encore un coup, que tout cela est comprimé en une dizaine de petites pages, où, au pied de la lettre, les remarques et les portraits s'étouffent. Qu'on songe que ceci n'est qu'un herbier, que chacune de ces notes représente une impression complexe ou tout une troupe d'impressions, comme la corolle séchée rappelle la fleur vivante et même l'arbuste entier, on aura quelque idée de ce qu'étaient dans le cerveau de Burns, la sûreté, la vitesse et l'activité de l'observation humaine.

Cette qualité d'observation frappait ceux qui l'approchaient, comme un des traits les plus saillants de sa forte intelligence. Diigald Stewart l'avait bien remarqué : « Parmi les sujets auxquels il avait coutume de s'arrêter, les caractères des individus avec qui il lui arrivait de se trouver étaient manifestement un sujet favori. Les remarques qu'il faisait sur eux étaient toujours perspicaces et pénétrantes, quoique penchant fréquem- ment vers le sarcasme.' » Et le D"" Mackeuzie de Mauchline disait encore plus fortement: « Son discernement des caractères dépassait tout ce que j'ai vu chez aucune autre personne que j'aie jamais connue, et je lui ai souvent fait la remarque que cela me semblait de l'intention. Rarement je l'ai vu former une fausse estimation d'un caractère, quand il se faisait son opinion d'après sa propre observation 2.

Mais cette pénétration ne suffirait pas. Elle peut rester immobile ou fragmentaire, consister en une série de coups d'œil aigus, mais séparés. Il faut quelque chose qui étende et anime celte sagacité. 11 faut le plus rare des dons, parce qu'il les comprend tous, le don dramatique, c'est- à-dire, non seulement de voir et de représenter un personnage, mais de le reconstituer, de le continuer, de le posséder au point de vivre en lui ; le don d'en créer ainsi plusieurs, de les faire mouvoir à la fois ; et en sentant pour chacun d'eux, de leur prêter cependant à tous un mouve- ment d'ensemble, une vie commune, qui constitue l'organisme d'une œuvre dramatique. C'est le plus vaste et varié don, duquel puisse être favorisé un poète quand il le possède dans son étendue et sa richesse entières. Il semble vraiment que Burns en ait été doué, dans les dimen- sions moyennes de son génie. On en demeure presque convaincu lorsqu'on fait la lecture de la plus surprenante, peut-être, de ces produc- tions, sa fameuse cantate des Joyeux Mendiants,

1 Account of Burns, hy Professer Dugald Stewart, communicated to D Currie.

2 Beminiscences of William Burness, hy D' John Mackenzie of Mauchline, from Walker's Memoir of Burns.