Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 155 -

tous ces besaciers, se groupent en un chœur final, et entonnent une chanson d'une audace et d'un souftle magnifiques. C'est un défi à la société, un hymne de révolte, où frémit la haine des outrages subis, le goiit sauvage de la vie sans contrôle, le cri des déshérités et des réfractaires. Cela grandit, monte, prend l'allure et le vol d'une ode. On dirait que la Liberté, celle des grands chemins, celle qu'adorent les gueux, les insoumis qui dorment sur les revers des fossés, sous le signe d'or de la lune, plane au-dessus de ce paean formidable. Tout cela est rendu avec une intensité de vie, une variété, une vigueur, un relief, un mouvement merveilleux. On ne sait à quoi comparer cette étrange et admirable pro- duction. Ce n'est pas aussi plantureux que du Jordaens, mais c'est plus varié et d'une plus grande portée ; c'est plus dramatique que du Téniers ; c'est aussi pittoresque que du Callot, avec plus de fougue et de couleur. Quant à ces visages de chenapan, Adrien Brauwer seul a su les peindre avec cette verve et ce caractère. En littérature , cela fait penser à du Villon, plus mouvementé et plus éloquent ; à du Régnier, dans lequel passerait un souffle lyrique.

Voyons si cette appréciation est exagérée. La pièce se compose de chansons coupées par des récitatifs, qui les relient les unes aux autres. Elle s'ouvre par le récitatif suivant, dans lequel il est inutile de faire remarquer et la charmante comparaison des jeunes gelées, et la façon rapide et décidée de se mettre au cœur du sujet.

Quand les feuilles jaunes jonchent le sol, Ou que, voltigeant comme des chauves souris,

Elles obscurcissent l'haleine du froid Borée,

Quand les grêlons chassent, durs et oblicjues,

Et que les jeunes gelées commencent à mordre,

Tout habillées en givre blanc,

Un jour, au soir, une joyeuse vingtaine de gueux errants et vagabonds,

Chez Poosie Nansie étaient en liesse,

A boire leurs haillons superflus.

Avec des rasades et des rires,

ils s'ébaudissaient et chantaient ;

De leurs sauts, de leurs coups de poing,

La poêle même en résonnait.

Le premier de ces gueux est un ancien soldat. Il a conservé, jusque dans cette vie bohème, ce trait caractéristique des gens qui ont passé par les régiments, l'habitude de tenir son havre-sac bien en ordre. Le tableau de ce soudart, avec sa drôlesse, et de leurs caresses, est juste- ment un des passages qui ressemblent aux scènes de Brauwer. Mais nous n'interromprons plus ce morceau qu'il faut lire d'une haleine et dont il faut suivre l'élan.