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mouvement, cependant aiguë et précise dans ses détails ; chaque visage est un portrait.. . Outre la sympathie universelle pour l'homme, dont ceci est une nouvelle preuve chez Burns, une inspiration sincère et une habileté technique assez considérable s'y manifestent. Il serait étrange sans doute d'appeler ceci le meilleur des écrits de Burns, nous voulons seulement dire qu'il nous paraît le plus parfait de son genre, en tant que morceau de composition poétique, à proprement parler * ». Il nous semble que Carlyle n'est pas assez frappé de la vigueur extraordinaire de cette pièce. A nos yeux c'est le plus haut effort de Burns et le plus surprenant témoignage des aptitudes et des énergies qu'il y avait en lui. Il n'y a rien de cette vitalité, de ce mouvement, rien d'aussi dru dans la littérature anglaise, depuis Shakspeare, rien qui approche de cette vigueur ramassée. Tout à l'heure, nous comparions Tarn de Shanter à John Gilpin ; il y a dans la poésie anglaise, deux œuvres qui font penser à celle-ci : le Beggars Bmli de Beaumont, le collaborateur deFletcher 2, et le Beggar's Opéra de Gay ^. Mais quelle différence entre la poésie semi-pastorale et qui sent le masque et la représentation de cour du premier, entre les habiles refrains d'opéra-comique du second, et cette vie comprimée qui éclate et fume. « Dans le Beggars Opéra, dans le Beggar's Bush, dit Carlyle, il n'y a rien qui en réelle vigueur poétique égale cette cantate ; rien qui, à ce que nous pensons, en approche même de très loin ». Nous parlions des qualités dramatiques dont ce morceau est l'indice; nous ne voulons qu'en indiquer une autre, qu'il nous semble aussi révéler. II se passe pour l'auteur dramatique un peu ce qui se passe chez l'homme de science qui a fait une hypothèse et qui, la suivant, est étonné de ce qu'elle contient, et conduit par elle vers la vérité. Quand un créateur de théâtre a perçu, d'un coup d'oeil, en raccourci, parfois dans un geste, un personnage vivant et qu'il le reprend, le développe, le continue, il est surpris de ce qu'il a découvert et fait peu à peu connaissance avec lui. Il semble que le personnage ait à son tour une existence propre qui entraîne l'esprit du poète. Cette impression est ici très forte. Quand on lit cette cantate, on sent que la vie a passé de l'auteur à ses personnages, que ce sont eux qui l'ont pris par la main et l'emmènent. Il ne lui a manqué que de les suivre. En vérité, au delà d'une pièce pareille, il n'y a plus que le théâtre.
Burns y fut entraîné toute sa vie ; c'eût été l'aboutissement naturel de sa carrière poétique, si elle avait été complète. Étant tout jeune, il avait commencé une tragédie :
v> Dans mes jeunes années, je ne me contentais de rien moins que de courtiser la
J Carlyle. Essay on Burns.
- The Beggar's Bush est des quinze premières années du xvn° siècle (1600 à 1616).
3 The Beggar's Opéra est de 1721.