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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/241

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Malgré tout ça, malgré tout ça,

Il advienflra malgré tout ça

Que l'homme et l'homme, par tout le monde,

Seront frères, malgré tout ça ! i

La différence n'éclate-t-elle pas manifestement entre la poésie politique de Burns et celle de ses contemporains ? Wordsworth et Coleridge appe- laient l'égalité en philosophes historiques. Ils la voyaient comme une des promesses de l'avenir. Ils la réclamaient dans de nohles plaidoyers philosophiques. Ils avaient l'optimisme de l'idéal. Les yeux ravis dans un mirage, ils n'apercevaient pas, à leurs pieds, les ahus, les souffrances, les usurpations, les iniquités, les mauvaises œuvres, mais la magnilifjue espérance qui se levait à l'horizon. C'est elle qu'ils attendaient, oubliant que l'aurore ne parait toucher la Terre que parce qu'elle est lointaine, et qu'elle s'en éloigne quand nous nous rapprochons. Ce n'est pas cependant que de pareils rêves soient inutiles. Ils sont bien au-dessus de l'humanité et des événements, "mais il en tombe une bonté et une charité qui fécondent la vie.

La poésie de Burns est plus terrestre : elle est faite de haine contre l'inégalité; elle est surtout une revendication. C'est la révolte d'un prolétaire qui, souffrant des abus, se redresse contre eux. Il est las, ses membres sont meurtris, sa patience est à bout, la colère nait dans son cœur. Que lui importent les rêves éloignés ! C'est le soulagement immédiat qu'il réclame. Il lui échappe un cri fait de plainte et de menace. C'est pourquoi, au lieu des nobles considérations de Wordsworth, ce sont des chansons, mais toutes tremblantes.de passion, d'une éloquence emportée, brutale, parfois ironique, agressive. Elles sont faites par un homme du peuple. Une fois que le peuple les aura apprises, il ne les oubliera plus. Elles lui servent à rendre ce qu'il sent confusément. Elles sont faites pour être redites sur les routes, pour fournir des devises aux bannières populaires, et des citations aux orateurs de meetings. Elles contiennent des mots d'ordre , et presque des chants d'attaque. Car il est impossible de s'y méprendre, il y a dans ces paroles quelque chose qui va au-delà de tout ce qu'exprimait alors la poésie. Il y a un commencement de révolte contre les inégalités de la fortune, et l'accent des revendications socialistes. Shelley et Swinburne iront jusque-là , mais plus tard. Leurs poèmes, nourris de philoso])hie et d'images, ne pénétreront pas dans la multitude, comme ces couplets faits de passion et d'éloquence nue ^. Ceux-ci seuls sont capables de secouer une nation. Si

1 Is Ihere for honesl Poverty.

^ M. .I.-A. Symoads a justement remarqué que les tentatives de Shelley « pour composer de courtes chansons populaires qui eussent réveillé le peuple d'Angleterre et lui eussent fait sentir ce qu'il regardait comme sa dégradation '^ n'avaient pas les qualités nécessaires. Voir sa biographie de Shelley dans la collection des English Men of Letters, p. 120,