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que les marquis et les lords ? Quand on a éprouvé cette vénération pour la vertu en soi, et goûté le vin du vrai respect, toutes les déférences extérieures semblent creuses et insipides.

On voit quelle dignité la vie des pauvres a pris entre les mains de Burns. Elle est rehaussée, ennoblie. Elle est montrée dans sa grande importance pour le pays. Elle est même parfois, malgré la réalité qu'elle conserve, revêtue d'une sorte de beauté. En regard, la vie des riches est dépouillée de ses entourages fallacieux, révélée dans son vide et ses laideurs, dans son inutilité pour tous. De quel côté est l'avantage, la vraie supériorité, le droit à l'estime? Ces familles sont le froment d'un pays. Comme l'humble blé, elles le font vivre et, quelles que soient les plantes fastueuses et rares qui fleurissent dans les jardins, ce sont elles qui sont la parure des plaines.

C'est par ce côté, et dans ces limites, que Burns a touché aux portions nobles de la vie. Il est, grâce à cela, plus qu'un poète de la réalité familière et grotesque. Il faut avouer cependant que ces deux parties de son génie ne sont pas égales entre elles. Celle-ci est inférieure à la première, en originalité, en variété, et surtout en vie. Ne semble-t-il pas que la différence capitale que nous avons signalée ressort visiblement ? C'est que le don d'objectiver, de créer des scènes ou des êtres en dehors de soi-même, abandonne Burns lorsqu'il pénétre dans le domaine du Beau. Il n'y porte que ses propres émotions; il n'y parle qu'en son propre nom ; il y exprime des principes au lieu de peindre des personnages. Il est créateur dans le comique, et non dans le relevé. Il a donné la vie a beaucoup de personnages risibles, pas à une figure poétique. Tandis que les peintres complets , comme Shakspeare , en face de Falstaff et de Caliban, produisent Ophélie et Ariel , Burns n'a pas donné en beau de pendant à ses Joyeux Mendiants et à Tarn de Shanter. Même cette verve d'expression, cette perpétuelle trouvaille , cette bonne fortune et cette bonne humeur de langage le délaissent. La langue reste vigoureuse et simple, mais elle est plus monotone, plus abstraite. Elle se tient à quelque distance des objets, et par un artifice de construction littéraire. En même temps, au lieu d'être souple, prompte de mouvement, agile aux moindres détours de la réalité, elle est plus raide et plus tendue. Ce n'est plus une suite de touches qui tombent pressées sur le point qu'elles doivent rendre, c'est le développement oratoire. La pièce du Samedi soir peut servir d'exemple. L'inspiration en est haute et en fait en grande partie la beauté. Mais où sont la vie, l'individualité? Le laboureur n'est qu'un type général , à la façon du maître d'école ou du curé de village de Goldsmith. Le sujet demandait sans doute de la gravité, mais elle est ici un peu lente ; le style, qui est large, a quelque chose de froid et de compassé ! Le morceau manque de la saveur des véritables créations de Burns.