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Malgré ces rappels de réalité, toutes ces pièces sont charmantes. En littérature anglaise, je ne vois de supérieur en ce genre, parce qu'ils sont d'une inspiration plus élevée, que deux morceaux. Le premier est l'incomparable passage qui se trouve à la fin au Marchand de Venise, quand les sons de la musique arrivent dans le calme de la nuit, et que, dans cette atmosphère doucement ébranlée d'harmonie, les âmes des deux amants s'élèvent jusqu'à la musique des sphères ^. Le second est cette merveilleuse et chaste vision d'Edgard Poe , lorsqu'il aperçoit Helen, vêtue de blanc, dans le jardin enchanté, tandis que de l'orbe plein de la lune, une lumière de perle tombait sur les faces d'un millier de roses tournées vers le ciel ^. Les pièces nocturnes de Burns n'ont pas la profondeur, le charme vaporeux, et le mystère de ces admirables morceaux. Elles n'en forment pas moins une des plus jolies évocations de l'amour, aux heures bleuâtres et argentées qui semblent être surtout les siennes.

Gela suffirait déjà pour faire de lui un poète d'amour distingué, mais on peut dire que ce ne sont là que des exceptions, des criques reti- rées et tranquilles, dans le grand courant de son œuvre. Ce qui est bien à lui, ce n'est ni la finesse, ni la recherche ; c'est la passion sincère et vraie ; c'est la simplicité, l'ardeur, l'impétuosité du désir, l'émotion contenue dans une forme si atténuée , si réduite, qu'elle n'existe pour ainsi dire plus et ne s'interpose pas. Elle est comme brûlée par la flamme intérieure. Là, il est incomparable, direct, fort, et d'une simplicité merveilleuse. Il n'y a pas de luxe d'image ; il n'y a pas de recherche d'esprit ; il n'y a pas de déploiement poétique, pas d'élégance, pas de profondeur ; il y a de la passion pure. Elle brûle clair, tant elle est dégagée de tout autre élément. C'est ici vraiment le cœur de son œuvre, le véritable amas de ces fins et brillants coquillages qui sont bien à lui. Ils ont des teintes diverses, plus claires ou plus sombres, ils contiennent des échos différents, selon qu'ils ont été laissés sur le rivage par des jours de gaieté ou des jours de tristesse ; mais ils ont tous le même caractère de netteté. On peut ramasser au hasard, on est à peu près sûr d'avoir dans la main quelque chose de précieux, un petit chef-d'œuvre.

Dans les teintes claires de l'amour, voici des pièces légères, des minauderies, des gentillesses enjouées et badines, de petits compliments, des déclarations sans importance , jetées en passant. Ces mignardises câlines elles-mêmes sont simples.

Jolie petite chose, fine petite chose, Adorable petite chose, si tu étais à moi,

1 Shakspeare. The Merchant of Venice. Act v, Scène 1 .

2 Edgard Poe. Helen.