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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/335

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II touchait à l'alternative à laquelle sont réduits les hommes qui ne savent pas dépasser la forme juvénile de l'amour : ou ils continuent à aimer et ils vont vers le ridicule, quelquefois l'odieux ; ou ils sont contraints de renoncer à l'amour entièrement. Mais que vaut alors l'exis- tence qui, à leurs yeux, n'avait de prix que par lui ? Burns lui-même ne disait-il pas :

Qu'est la vie s'il lui manque l'amour?

C'est la nuit sans matin.

L'amour est le soleil d'été

Qui orne gaiement la nature ? i

Que devient donc le monde quand ce soleil s'éteint brusquement, et qu'on ne s'est pas ménagé d'autres clartés ? Amours sans souvenirs, jours sans crépuscules, il leur manque l'heure la plus poétique et là plus attendrie, celle aussi qui, mariant les clartés et les ombres, les charmes aux tristesses, mène sereinement à la nuit. Sans elle, la vie se ferme^ tout à coup, ténébreuse et froide. On ne peut s'empêcher de penser que Burns n'était pas fait pour connaître cette graduelle et douce approche du soir.

Cependant, à cause de cette absence même de mélange intellectuel, cet amour est singulièrement curieux. II a des qualités moins hautes, mais qui, peut-être, sont plus rarement rencontrées. Il est toujours sincère, parce que, dès qu'il va cesser de l'être, il a déjà changé. Passant conti- nuellement d'un objet à un autre, il rajeunit la convoitise par la nouveauté. S'il est étranger au sentiment de bien-être et de stabilité que l'habitude donne aux affections, il n'en connaît pas non plus le relâchement et comme le sans-gêne. Il est toujours ardent, empressé et expansif. II a connu l'émotion qui se recommence sans cesse, parce qu'elle se souvient peu d'elle-même, qui est toujours joyeuse de se reformer parce qu'elle se perd sans cesse. Pour la même raison, il est toujours direct et actuel, toujours dans le moment présent, et, pour ainsi dire, pris sur le fait. Il diffère en cela des amours de la plupart des poètes, chez lesquels on trouve beaucoup plus les traces que les explosions de la passion. Si on cherchait un contraste, on pourrait l'opposer à celui de Lamartine, qui ne se manifeste que sortant du passé, repris par un souvenir, reflété dans une mélancolie, comme en un poétique clair de lune. Ici, c'est le plein soleil avec ses rayons droits. Ils seront éteints ce soir, mais qu'importe? Demain en ramènera d'aussi jeunes et d'aussi brûlants, insoucieux de ceux de la veille. N'est-ce pas aussi une rare qualité que ce quelque chose de gai et de sain qui frappe en lui? L'intelligence

^ My lovely Nancy.