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introduit, dans les sentiments auxquels elle se mêle, les tristesses qu'elle a lentement acquises. Elle les touche de l'amoindrissement dont l'expérience frappe ce qui nous entoure. Mais lui, tout fait de désir, sans retour en arrière, sans pensée d'avenir, sans scrupules, échappe à cet attristement. Il reste entier, joyeux d'exister et insouciant. C'est pourquoi, parmi tant de notes variées, il y a une note qu'il n'a pas : c'est l'amertume. Des tristesses, des douleurs, des déceptions, des désespoirs, il en a éprouvé. C'est l'inévitable résultat des aventures du cœur. Mais il n'a pas connu le dédain, le doute, le dénigrement de ce qu'il a chéri. Il est toujours resté, pour le cœur où il renaissait sans trêve, quelque chose de cher et de précieux, l'embellissement, la joie et la fête de la vie.

Aussi, le trait qui le distingue par-dessus tous, c est qu'il est l'amour le plus franc, le plus impersonnel, le plus général qui ait jamais existé. Il est fait d'émotion pure, de passion sans mélange. C'est par la pensée qu'ils contiennent que les amours sont particuliers et portent l'empreinte de tel ou tel esprit. Ici, la pensée n'apparaît pas. C'est l'amour simple, l'amour en soi, l'amour élémentaire, débarrassé de tout; c'est le fonds commun de désir, ce qu'il y a de primordial, de primitif, d'essentiel dans tous les amours ; c'est de la pure passion, sans idée, sans nuage, nue comme un baiser. Jamais l'amour ne s'est manifesté sous une forme aussi dépouillée. C'est de l'amour terrestre sans doute, peu langoureux, mais fort, et substantiel. C'est l'amour de tout le monde, accessible à tous, et le plus universel qu'un poète ait encore exprimé.

Cela suffit pour faire de Burns un poète d'amour original et unique. Dans la littérature anglaise, il a rendu à cette passion son ardeur et sa violence. Depuis longtemps, depuis la Renaissance, elle vivait de finesses, d'élégances et d'esprit. Cowley, Herrick, Lovelace, Suckling, qui sont de vrais et charmants chanteurs , lui avaient apporté de gracieuses mignardises, de délicats détails de sentiment, de plaisants jeux d'imagination, et de jolies sensualités un peu minces, Burns a écarté d'un coup de main ces mièvreries et ces fadeurs ; il a aimé robustement, avec la fougue des sens et du cœur. Si, après lui, la sincérité de la passion s'est retrouvée dans la poésie contemporaine ; s'il y a dans Shelley, dans Wordsworth, dans Tennyson, des pièces d'amour tou- chantes et simples, elles sont loin de sa véhémence et de son emporte- ment. Elles ont toutes passé par l'intelligence. La part de pensée, de réflexion, de souvenir, y est grande. Les larmes qu'ils ont versées étaient véritables, mais ils les ont conservées dans des gouttes d'ambre. Celles de Burns tombent sur nos mains et les brûlent. Byron seul a eu un élan comparable au sien, mais l'amertume, le scepticisme, le dédain l'ont arrêté, tandis que Burns a, jusqu'à la fin, -aimé naïvement et de