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11 y a dans ces vers un sentiment de liberté et quelque chose de la nostalgie des montagnes, qui fait penser à la fameuse pièce de Duncan Ban, sur Ben Dorain *. Mais, c'est une note isolée. Les montagnes d'Ecosse ne devaient trouver que plus tard leur poète dans Walter Scott. Encore, n'est-ce qu'un poète souvent faux, trop technique et d'une pure fidélité extérieure, « un guide en rimes de l'Ecosse », a dit sévèrement Emerson 2. Malgré les révélations partielles, qui se trouvent peut-être plus dans les romans de Walter Scott que dans ses poèmes, ces montagnes attendent encore le poète qui les interrogera et leur fera dire leur secret. Si Byron avait vécu parmi elles, il les aurait peut-être chantées au lieu des Alpes ; il y avait dans son génie quelque chose de farouche et d'âpre qui leur aurait convenu. Le plus profond sentiment qu'elles aient inspiré se trouve peut-être dans les vers de Duncan Ban, ce garde-chasse illettré, dans l'âme ignorante duquel s'est débattu un grand poète.

Une autre beauté de la terre écossaise est la côte ouest, avec ses îles nombreuses, ses rochers, ses falaises, ses lochs découpés, et ses promon- toires sur chacun desquels rêve une ruine. Merveilleux et magique paysage qui, dans ses aspects infinis et sa beauté toujours ondoyante, semble un paysage de vision et de mirage ! Dans les jours de calme, lorsque la mer est d'azur ou d'argent immobiles, les îles prochaines, se rétlétant avec tous leurs détails, créent un double monde dont l'esprit est troublé, tandis que les plus lointaines, d'un vert tendre, impalpable, transparentes comme des émeraudes, complètent l'illusion d'une vision aérienne. Dans les jours sombres, la mer et le ciel déploient des gris infinis. Sur la première, glissent des courants d'un vert pâle, d'une douceur inexprimable ; dans les brouillards et les brumes, où éclosent des lueurs argentines et d'inces- sants arcs-en-ciel, des roches humides et des falaises tremblantes passent dans les couleurs du prisme. C'est la région des lumières fugitives, des étranges crépuscules verdàtres et lumineux, oii les objets se fondent comme des rêves, hantée de légendes, habitée par une race solennelle et superstitieuse, où Staffa ouvre son portail, oîi lona l'île mystique dressait ses centaines de croix dans d'innombrables iris ^. C'est un paysage spiri- tualisé, plein d'une mystérieuse fascination. Wordsworth était assez délicat pour le percevoir, mais trop lent et solennel de mouvement pour saisir ses fugitifs sourires. Shelley seul avait une nature assez légère et féerique, assez immatérielle pour le poursuivre. Robert Buchanan en a

1 Voir sur Duncan Ban, le livre vraiment épris de poésie de John Stuart Blackie : The Language and Literalure of the ScoUish Highlands, chap. m, p. 156-187. Le poème sur le mont Ben Doraiu y est cité en entier. Ce Duncan Ban, après avoir été garde-chasse dans les Highlands, avait fini par obtenir une place dans la garde civique d'Edimbourg, principalement composée de Gaëls. Il était né en 1724 et mourut en 1812. — Voir aussi, sur Duncan Ban, quelques pages de Robert Buchanan ; The Hebrid Isles, p. 42-53, oii Buchanan cite quelques autres pièces de lui, et le compare à Burns.

2 Emerson. English Traits. XIV. Literature.

3 Voir, sur celte île, le livre du duc d'Argyle : lona, en particulier le chapitre ii.