Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— 354 —

Même vous qui, fatigués à la recherche du meurtre ,

Rôdez solitaires, loin de vos farouches demeures I

Le poulailler teint de sang, le parc à moutons dévasté,

Mon cœur oublie tout.

Quand, implacable, la tempête sauvage

Cruellement vous bat 1 *

Cette commisération pour les animaux s'offre à lui sous les formes les plus humbles et sous les moindres prétextes. On sent qu'elle est sans cesse auprès de son esprit. Quand il visite les cascades de Bruar, et qu'il les trouve presque desséchées, faute d'ombrage, il pense aussitôt aux poissons -délaissés par l'eau baissante, sur ces pierres qui perdent peu à peu leur grise teinte mouillée, et, selon son expression, blanchissent au soleil.

Les truites, aux bonds légers, étincelantes,

Qui jouent dans mes flots.

Si dans leurs jaillissements fous, imprudents,

Elles vont près de la rive,

Et si, par malheur, elles s'y attardent longtemps,

Le soleil me dessèche si vite,

Qu'elles sont laissées sur les pierres qui blanchissent.

Se tordant haletantes, expirantes 2.

Et il feint que la cascade elle-même prie le duc d'Athole de faire planter des arbres sur ses bords, afin que les oiseaux trouvent un abri qui les protège des orages, « et que les lièvres peureux dorment rassurés dans leur gîte d'herbes. »

Si c'était alors, en 1782, dans la poésie moderne une telle nouveauté de s'occuper des humbles parmi les hommes que, soixante ans plus tard, en 184-0, l'Université d'Oxford conférait à Wordsworth, le degré de docteur pour avoir été le poète des pauvres ^ , c'était une nouveauté bien plus étrange que de s'intéresser aux misérables existences des plus infimes animaux. Il nous semble naturel aujourd'hui d'entendre un poète s'écrier :

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie Parce qu'on les hait, El que rien n'exauce et que tout châtie Leur morne souhait. *

Mais de semblables déclarations étaient nouvelles à cette époque. Cowper et Burns étaient, en cela, des précurseurs. Est-il besoin cepen-

1 A Winter Night.

2 The Humble Pétition of Bruar Water.

3 Shairp. Sludies in Poetry.

4 Victor Hugo. Les Contemplations, livre i. A ma fille.