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arbres ^ ; comme si ell« n'était pas indifférente et ignorante de nos passions et de nos petits drames intérieurs ; comme si son impassibilité dans la Tristesse d'Olympio

Nature au front serein , comme vous oubliez ! 2 n'était pas plus conforme à la réalité que les supplications du Lac Non ! la Nature n'épouse pas notre âme. Elle a son propre rêve que le nôtre ne trouble pas. Elle vit à l'écart, nous permettant d'aller à elle, dédaigneuse de venir à nous. On peut toucher du doigt l'excès de cette manière, dans Tennyson, qui a une tendance à substituer des préoccupations humaines, précises et particulières, au rêve ignoré et vaste des choses. Ainsi, dans Maud, les oiseaux ne chantent plus pour eux-mêmes, ils n'ont plus, selon l'expression de Wordsworth, leurs pensées que nous ne pouvons mesurer •^, ils disent tous : « Où est Maud, Maud, Maud ? » * Un peu plus loin, dans un passage d'ailleurs exquis, lorsque le héros attend la jeune fille à la nuit tombée, les fleurs du jardin ne s'enivrent pas de brises tièdes, elles ne s'endorment pas dans des rayons de lune, ne se rafraîchissent pas dans leur songe de rosée nocturne. Leurs propres délices sont oubliées. Toutes les roses et tous les lis ne rêvent qu'à cette entrevue humaine.

Une larme splendide est tombée

De la grenadille de la porte ,

Elle arrive, ma colombe, ma chérie.

Elle arrive, ma vie, ma destinée.

ta rose roirge crie : » Elle est près, elle est près! « 

Et la rose blanche pleure : « Elle tarde I »

Le pied-d'alouette écoule : « Je l'entends, je l'entends! » .

Et le lis soupire : ^> Je l'attends ! » ^

Cette façon d'imposer à la Nature notre nuance du moment et de soumettre le mondé à la mobilité de nos impressions est, à coup sûr, scientifiquement inexacte. Elle a été durement désignée parRuskin sous le nom de « pathetic fallacy » ; et on s'explique que cette condamnation du grand esthéticien soit absolue pour la peinture, qui prend comme moyen d'expression la reproduction même des choses, qui n'est pas char- gée de rendre certains états d'âme , mais de les éveiller, et a pour langage la reproduction de la réalité. En ce qui concerne la poésie, cet arrêt est excessif; M. Shairp et M. Stopford Brook ont, ce nous semble, tort de l'accueillir sans réserves^. Car, si cette humanisa-

1 Virgile. Egloga X, v. 53.

2 V. Hugo. Tristesse d'Olympio.

3 XVordsworth. Poems of Sentiment and Reflexion. Lines Written in Early Spring.

4 Tennyson. Maud. Part. i. xii.

^ Voir M. Stopford Brook dans sa Theology in the English Poets, Lecture vi, et M. Shairp dens On the Poetic Interprétation of Nature, Chap. viii. Cependant M. Shairp fait quelques ob'ections et réserve les droits du poète dramatique ou épique.