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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/396

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n'est pas à notre disposition. Une expression permanente réside en elle. Elle a des heures et des humeurs différentes. L'Automne, où tout meurt, a une mélancolie réelle ; le Printemps, une réelle gaîté. Lorsque Shelley rend en des vers navrants la désolation d'uu jardin jonché de dépouilles de fleurs et saisi tout entier par la décomposition automnale ^ ; lorsque Wordsworth, à la première douce journée de mars, vovant tout renaître, s'écrie :

11 y a une bénédiction dans l'air,

Qui semble communiquer un sentiment de joie

Aux arbres, aux montagnes nues,

Et à l'herbe, dans les champs verts 2.

ils ne font que rendre strictement un fait extérieur. Ils ne prêtent pas à la Nature leurs propres sentiments ; ils la trouvent dans des heures d'abattement ou de renaissance. Elle a une expression qu'ils ne lui apportent pas et qu'ils constatent. Il en est de même pour les sites. Le sourire appartient bien à certains lieux, l'horreur à d'autres, et à d'autres la sérénité. Un paysage oii toutes les plantes périssent et pourrissent, où les arbres souffrent, où toute vie est chétive, exténuée et malingre, est triste en soi, sans qu'il soit besoin qu'un homme vienne y gémir. Un autre où tout est robuste et exubérant de sève, est un centre d'existences heureuges ; il est gai comme une maison où tous se portent bien. D'autres, où les vents se rencontrent, sont des lieux de combat, dans lesquels les arbres ont quelque chose de ramassé, de convulsif, de nerveux, et des efforts de lutteurs. Ainsi les endroits ont des visages différents, selon la façon même dont ils accueillent d'autres existences que la nôtre ; certains terrains sont moroses ; d'autres, pleins de cordialité. Cela est encore plus clair pour les arbres et les plantes. Nous ne parlons pas des expressions générales et composées des types. C'est un sujet encore peu exploré. Mais chacun de ces êtres a une contenance particulière, une façon d'être, une attitude, où se révèlent, sinon des consciences différentes, du moins des habitudes vitales diversement contractées. Ils ont aussi des sensations. « C'est ma croyance, disait Wordsworth , par un jour de printemps, que les fleurs jouissent de l'air qu'elles respirent -^ ». Et cette croyance du poète ne sera pas contredite par les botanistes, de plus en plus portés à animer les végétaux *. Les minéraux eux-mêmes recèlent peut-être un obscur effort vers l'existence et, par suite, ils parcourent des moments différents et ont des expressions différentes, selon que ces

1 Shelley. The Sensitive Plant.

2 Wordsworth. Poems of Sentiment and Reflection. To my Sis ter.

3 Wordsworth. Poems of Sentiment and Reflection. Lines written in Early Spring.

4 Notre ami le Professeur Bertrand nous a permis de soumettre nos opinions sur ce point au contrôle de sa profonde connaissance de la vie des plantes. Nous l'en remercions sincèrement. ,