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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/404

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dèrent, le rajeunissement éternel plutôt que la décrépitude. Dans le cercle alternativement noir et blanc de naissance et de mort qui forme le travail de l'Univers, ils disent que la seconde n'est que la condition de la première, et pour eux les nuits ne sont pas les tombeaux des jours, mais des berceaux d'aurores. Ils ne sont pas sensibles à la terreur que leur existence sera un jour supprimée, mais à la joie qu'elle ait été produite. Ils sont heureux de prendre part un moment à la vie universelle , dont ils sentent en eux le tressaillement profond ; et , reconnaissants d'avoir existé , ils retombent sans regrets dans le courant des métamorphoses. Cette façon de voir dans la Nature une évocation infatigable de l'être, une profusion, un épanouissement, une floraison de forces suffit pour remplacer une révolte inutile par une satisfaction tranquille. La plupart des âmes humaines sont, il est vrai, trop encastrées dans leur personnalité pour faire autre chose que de com- prendre cette idée. Elles sont impuissantes à la ressentir : trop captives pour se perdre en elle, et trop étroites pour la recevoir en soi. Elles se contentent de l'exprimer dans une forme intellectuelle (jui déjà ne man(jue pas de grandeur. Elles en tirent une fermeté tout humaine, semblable à celle que put éprouver une àme comme Littré, quelque chose comme la gratitude du convive rassasié dont parle noblement le poète latin.

Mais, lorsque cette idée tombe dans une âme comme celle de Shelley, capable de toutes les métamorphoses, les plus ténues et les plus puissantes, fluide, mobile, légère, impressionnable, incirconscrite et universelle comme l'air, susceptible comme lui d'être une brise ou un orage, recevant toutes les teintes, s'embrasant avec les soleils et plus rêveuse que les pâles étoiles, une des plus étonnantes âmes humaines qui aient existé et la plus éperdue de nature qui fut jamais, alors on a un exemple unique de la poésie que peut contenir ce sentiment delà vie universelle. Shelley a eu, vis-à-vis des forces delà Nature, la même flexibilité que Shakspeare vis-à-vis des âmes humaines. C'est le poète des existences élémentaires. Son affinité avec elles est un phénomène psychologique. Pour la première fois, du moins en occident, on a vu une âme huuiaine, perdant ses contours, sa conscience, se plonger passionnément dans la Nature. Elle est descendue plus bas que les existences déjà individualisées des plantes ou des animaux ; la folie aérienne de l'alouette ou la tristesse pensive de la plante sensitive sont encore trop concrètes ^ Elle a pénétré jusqu'aux existences plus vagues , plus diffuses , plus rudimentaires. Elle est redevenue primitive, antérieure à toute forme, elle s'est faite semblable aux éléments, aux flottants phénomènes de l'atmosphère. Elle a été le crépuscule, la nuit, l'éclair, la neige, que les rayons des étoiles bleuissent

1 Shelley. To a Skylark. The Sensitive Plant.