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Je n'entends ni vos cris, ni vos soupirs, à peine

Je sens passer sur moi la comédie liuniaine

Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre, A côté des fourmis, les populations ; Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre , J'ignore en les portant les noms des nations.

On me dit une mère, et je suis une tombe,

Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe.

Mon printemps ne sent pas vos adorations. »

C'est Icà ce que me dit sa voix triste et superbe, Et dans mon cœur alors, je la hais, et je vois Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe, Nourrissant de leurs sucs la racine des bois. ^

r.orsqiie M'" Ackermann , que de Vigny, ce grand précurseur envers lequel on est ingrat, avait devancée, pousse avaut de sombrer le cri déchirant et l'anathème qui fait frissonner l'oiseau et épouvante les vents, lorsqu'elle lance à la Nature son imprécation :

Sois maudite, ô marâtre, en tes œuvres immenses, Oui, maudite à ta source et dans tes éléments, Pour tous les abandons, tes oublis, tes démences n Aussi pour tes avortements !

Qu'envahissant les cieux, l'Immobilité morne Sous un voile funèbre éteigne tout flambeau, Puisque d'un univers magnifique et sans borne Tu n'as su faire qu'un tombeau. ^

Tous deux ils traduisent, avec une tristesse hautaine ou un emportement farouche, la sombre poésie qu'il y a dans cette conception. A la vérité, c'est peut-être moins regarder la Nature en soi que la vie humaine par rapport à elle. Car, en admettant que nos vies sont des bulles éclatant à la surface des forces, il se peut que des âmes plus résolues ou plus résignées soient heureuses de participer à ce renouvellement de l'être et de se sentir emportées par cette onde immense d'existences qui déferle à travers les temps.

C'est ce qui arrive à d'autres esprits. Pour eux aussi la vie humaine n'est pas plus que le moindre des bourgeons ; elle s'ouvre un instant et périt pour jamais. C'est encore le matérialisme avec l'en- gloutissement irréparable de l'homme. Mais ils envisagent les choses par la face de la reproduction plutôt que de la destruction ; ils consi-

1 De Vigny. La Maison du Berger

2 ]yirae Ackermann. L'Homme à la nature.