Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/415

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

~ 391 -

entier ; il souhaite seulement un endroit où rien ne les vienne distraire. Chemin faisant, il jette un rapide regard sur les champs de blés verts, mais c'est son œil seul qui perçoit la scène ; son esprit ne s'en mêle pas. La préoccupation intérieure continue, se plaçant machinalement dans ce cadre. Il rentre rapportant les mêmes peines, plus violentes et plus orageuses, de cette promenade où rien ne les a gênées. La Nature n'a eu pour lui aucune vertu, aucun baume caluiant. Elle reste indifférente à ses douleurs ; lui, l'a à peine aperçue.

Et si l'on reprenait un à un tous les traits du sentiment de la Nature tel que nous avons essayé de le dégager de la poésie moderne, on verrait qu'il ne s'en trouve pas un seul dans Burns. La peinture minutieuse , la recherche d'effets neufs et rares, ne se rencontre pas chez lui ; il se contente des effets ordinaires et il les peint sommairement d'un seul trait. Le mélange d'àme humaine et de Nature, ce commerce nouveau, cette humanisation des sites et des objets, n'apparaît guère chez lui, qu'en quelques passages et si rapidement qu'on ne sait si ce n'est pas un hasard de métaphore. Quant aux méditations sur la vie universelle et à leur influence sur les sentiments, il les a absolument et toute sa vie ignorées. En réalité, il ne s'est jamais occupé de la Nature pour elle- même, ce qui est le trait caractéristique de la poésie moderne. Il n'a été en contact avec elle que par le travail champêtre ou pendant quelques promenades de paysan désœuvré. Sa personnalité était trop vigoureuse, trop active et trop exigeante pour faire les moindres concessions à un sentiment vague et épars. Il est resté vis-à-vis de la Nature sur le véritable terrain humain, ne la prenant que comme un cadre étroit à ses passions et à son travail. Par là , il est presque unique dans la 'littérature contemporaine. On peut dire que, seul parmi les modernes , il a aimé la Nature à la façon antique.

Pour trouver son analogue il faut remonter, par delà les Latins, jusqu'aux Grecs. Un critique pénétrant a bien montré que chez les premiers le sentiment de la nature était, en partie, le désir d'échapper à l'existence des cités. « Les écrivains romains, pour se soustraire aux fatigues, aux dégoûts, aux périls de la vie publique, cherchant partout la paix au milieu des agitations civiles, se tournent vers la Nature... Le poète, le philosophe, l'homme de méditation inquiet de l'avenir et se tournant plus volontiers du côté du passé, frappé des maux de la société, blessé de ses injustices, affligé de ses vices, désireux d'échapper en quelque sorte à la civilisation et de remplir le vide de son âme d'affections nou- velles, s'achemine vers la solitude et se donne à la Nature ^. » Peut-être faudrait-il faire un coin d'exception pour Virgile, encore que sa vie des

1 E. Gebhart. Histoire du Sentiment Poétique de la Nature dans l'Antiquité Grecque et Romaine, p. 292-93.