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sauvages, dans la dernière lumière du jour ; tous brillants d'or et d'améthyste comme les esprits géants du désert ; là, dans leur silence et dans leur solitude, comme la nuit où le déluge de Noé se dessécha pour la première fois. Admirable, bien plus, solennel était ce spectacle au voyageur. Il contemplait ces masses prodigieuses avec émerveillement, presque avec un élan de désir. Jusqu'à cette heure, il n'avait jamais connu la Nature, et qu'elle était une, et qu'elle était sa mère, et qu'elle était divine. Et comme la lumière pourpre s'évanouissait en clarté dans le ciel et que le soleil était maintenant parti, un murmure d'éternité et d'immensité, de mort et de vie passa à travers spn àme ; et il ressentit comme si la mort et la vie étaient une, comme si la Terre n'était pas inanimée, comme si l'Esprit de la Terre avait son trône dans cette splendeur, et que son propre esprit avait communion avec lui » ^ Où sommes-nous donc ? Dans quelles sphères nouvelles de pensée ? Dans quel éther et quelles froides sublimités où les passions expirent?

On voit par quels larges degrés nous nous sommes éloignés de plus en plus des régions moyennes qu'occupe le traviiil des hommes. Nous n'apercevons plus que de bien loin , comme du haut des sommets alpestres, cette plaine animée au bruit des semailles ou des moissons dans laquelle naguère nous vivions avec Burns. Il est demeuré là-bas, à nos pieds, ignorant ces vertiges et ces ivresses, occupé à la besogne humaine, travaillant, labourant, aimant, souffrant, et trouvant que son travail, son amour et sa souffrance sont toute sa vie. Des distances immenses, des abîmes et des monts, sont entre lui et ceux qui méditent sur les cimes. Si l'on voulait mesurer, d'une façon frappante, quelle étendue le sépare du sentiment de la Nature moderne, on n'aurait qu'à imaginer deux promenades, l'une faite par Wordsvvorth, et l'autre par lui. Il n'y aurait pas de contraste plus frappant. On verrait le premier sortant de son jardin de Ridal-Mount, sérieux, avec une sorte de recueillement et l'attente de rencontrer dans sa promenade des leçons morales. Il va puiser à la grande sérénité, pour entretenir celle de son âme. Il marche dans la Nature, comme dans une cathédrale, où se déroulent des cérémonies religieuses dont il ne peut pénétrer le sens, mais dont le caractère solennel le remue. Le soir, il revient dans un état d'âme grave et respectueux, comme après une communion sacrée. S'il avait pu emporter quelques troubles, ils seraient apaisés ; même les douleurs les plus saintes, celle que cause la mort d'un frère, se calment, s'élèvent, et prennent leur place dans la haute harmonie de l'âme. Combien la promenade de Burns est différente 1 II sort de Mossgiel, le cœur agité de passions, ne cherchant qu'à songer plus librement à son angoisse. Il emporte avec lui des sentiments auxquels il appartient tout

1 Garlyle, Sartor Resarlus.