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d'arriver, bondissanle ; elle court d'un pied rapide, d'un pas gymnastique, à cent lieues des méditations prolongées et de la démarche péripatéti- cienne des autres. De quelque façon (ju'on les rapproche, on voit qu'il n'a rien eu de commun avec ses rivaux modernes. Il a été ému par les mêmes faits parce qu'il vivait dans les mêmes temps, mais, là encore, son émotion est différente de la leur. On a pu le voir à propos de la Révolu- tion française. C'est avec raison que Shairp a dit que Burns, « par rapport à ses contemporains, peut être regardé comme un accident: il a grandi si entièrement à part et en dehors des influences litt('raires de son temps. Sa poésie était un ruisseau qui coulait à l'écart sans être atteint par le grand courant de la littérature ' ».

Chose singulière — et c'est une idée qui nous est revenue à plusieurs reprises au cours de cette étude — il semblerait bien plutôt fait pour prendre sa place dans la littérature française. Invinciblement il fait penser à Régnier, à Villon, parfois à St-Amant, à Olivier Basselin. Ce quelque chose de dru et de dégagé, de vert, de net et de court dans la fonne, de sensé et de moyen dans la pensée, ce mouvement leste, cette franchise à tout dire, cette bonne humeur, cette jovialité, cette gauloiserie, cette clarté, font qu'il serait moins une anomalie dans notre littérature que dans la littérature anglaise. En même temps, ce caractère passionné, ce décousu et ce débraillé de la vie, ce tempérament bohème, insou- ciant et révolté, et aussi cette manière d'être envers les femmes, entrent plutôt dans l'idée qu'on se fait ordinairement de notre race. Il aurait chez nous des frères, des gens de même sang et de même existence, des compagnons et, pour dire le mot, des camarades. En Angleterre, il n'en a pas, ou en a de moins frappants. Il reste isolé au milieu de la surprise de tous, comme un phénomène qui ne se rattache à personne. Le Perfervidum ingenium Scotorum, par lequel on l'explique, a lui-même quelque chose de français, de celtique tout au moins. Un illustre géologue écossais, et passionné pour la poésie de son pays, nous disait récemment qu'en effet Burns ressemblait plutôt à un Français qu'à un Anglais. Est- il nécessaire d'ajouter très vite que nous ne revendiquons pas Burns? Nous désirons seulement nous servir des idées admises sur les deux litté- ratures pour préciser les qualités d'un écrivain ; et c'est une preuve de plus combien ces gros jugements généraux sur les races sont défectueux, puisqu'ils ne s'obtiennent qifen ignorant des transpositions comme celles-ci.

Quant à l'influence de Burns sur la littérature anglaise, on peut dire qu'elle a été nulle. Nous avons été surpris de trouver, chez un critique aussi perspicace que M. Shairp, « que s'il avait été peu affecté par ses contemporains, il avait eu beaucoup de pouvoir sur ceux qui sont venus

^ Shairp. Sludies on Poetry, p. 3.