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Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/422

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— sos- ies points que nous avons étudiés en lui pour voir qu'ils s'opposent exactement, un à un, aux points analogues chez les poètes récents. Il est inutile de revenir sur le sentiment de la Nature, La différence dans la façon de comprendre l'amour n'est pas moindre. Ici la démonstration ne peut se faire par un exposé de doctrines, mais par une notation de sen- timents. Qu'on songe que de notre temps cette passion est surtout rêveuse, et, quand elle le peut, gracieuse ; parfois elle a une certaine ferveur morale, le plus souvent de la tristesse, presque jamais de vraie flamme, jamais d'ardeur physique, ou, si cette dernière apparaît chez quelques poètes plus récents, elle n'est qu'une surexcitation raffinée, douloureuse, et souvent vicieuse. Nous avons vu combien chez Burns la passion est directe, franche, matérielle, toujours gaie et saine. Chez lui, l'amour est vraiment ce qu'il doit être, le coq clair, joyeux, ivre de lumière, qui, selon l'expression de Milton :

Seatters the rear of darkness thin, And to the stack or the barn door Stoiitly slruts his dames before i.

Dans l'école moderne, c'est un héron qui rêve au bord d'une source, près d'un saule, au crépuscule. Il est fort triste ! Pour la peinture de la vie humaine, l'opposition n'est-elle pas plus accusée encore? La poésie contemporaine tout entière est méditative, elle est occupée des aspects généraux et des problèmes de la destinée humaine ; elle essaie des études psychologiques qui ont de la subtilité, parfois de la profondeur, et pas de vie , elle a su rendre des états d'âmes et jamais des êtr^ ; elle est toujours noble, grave ; même quand elle s'applique à des sujets familiers, elle reste digne. La véritable vie, l'action, le don de créer des êtres qui se détachent d'elle et vivent ensuite de leur vie propre, lui fait irrémédia-. blement défaut. Or ce sont là précisément les qualités maîtresses de Burns. Il est, dans la poésie moderne, le seul qui ait vraiment reproduit la vie, dans une forme familière et animée. Que d'autres différences encore ! Il est le seul, absolument le seul, qui ait connu le rire, le rire vrai, franc, sans arrière-pensée. Tous les poèmes modernes, avec leurs nuances d'enjoument, ou de sarcasme, sont sérieux ; à peine y trouve- t-on quelques éclairs de gaîté mince et superficielle. Encore est-elle souvent pénible. Il semble que la Joie ait cessé de vivre parmi les Muses. Depuis les livres de Fielding et de Smollett, il n'y a vraiment, dans la haute littérature anglaise, que deux œuvres où l'on rencontre le rire, ce sont les drôleries de Burns et l'immense bouffonnerie de Pickwick. Enfin quelle différence dans l'allure générale, dans la manière d'être ! La poésie moderne est toujours lente. Celle de Burns seule est agile, pressée

1 Milton. L'Allégro.