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sèment à cette besogne, en extrait des banalités et des niaiseries, quelque chose comme le résidu d'un mauvais sermon de pasteur. 11 faut, en tous cas, reprendre les œuvres de ces poètes avec des cerveaux critiques ou systématiques, appeler toute une théorie sur une pointe de mots, pour • leur trouver des vues sur l'existence qui dépassent les aphorismes qu'on dit couramment sur elle. Ce n'est pas à dire que leur peinture ne con- tienne pas de réflexions , et (jne celles-ci ne puissent avoir de la profon- deur. La vie charrie de la philosophie. Les problèmes qu'elle rencontre sont éternels. Un paysan qui dit : « On ne sait pas où on va quand on est mort» a dit le dernier mot des philosophies humaines. Il arrive parfois que les plus subtiles questions soient posées par les êtres les plus simples, et que les réponses des plus grands penseurs soient trouvées par des ignorants.

A ces raisons pour qu'il soit épargné dans le bris de renommées que fait le temps, s'ajoute la curiosité de sa situation exceptionnelle. Il est l'unique poète des paysans et des misérables. D'autres ont essayé de raconter leurs misères et leurs joies ; ils ont chanté les pauvres. Ici ce sont les pauvres qui chantent. Ils parlent pour leur propre compte ; ils relèvent le front ; ils se déclarent aussi fiers et plus joyeux que les autres ; ils revendiquent l'honneur d'être pleinement des hommes, souvent meil- leurs que ceux au-dessus d'eux. Wordsworth a parlé d'eux comme un pasteur vertueux et optimiste, Crabbe comme un médecin pénétrant et attristé. Quelque sympathie sereine ou sévère qu'ils aient éprouvée, il y a en eux un peu de conseil et de pitié, qui sent la supériorité. Burns est un paysan. S'il a dit, en accents poignants, leurs détresses, il a été aussi le poète de leur fierté, de leurs efforts, et de leurs amours. Il a rendu l'existence des campagnards d'une façon définitive, très exacte et très humaine à la fois ; la force de son génie, par un phénomène qui ne se renouvellera peut-être plus, l'a fait sortir de sa sphère de poète local pour se mettre au rang des poètes universels. Il restera un cas unique en littérature, «un homme représentatif », selon l'expression d'Emerson ; le type glorieux de tant de pauvres poètes rustiques, qui ne purent jamais s'élever au-dessus de la glèbe.

En arrivant à son terme , cette étude , quelque longue et minutieuse qu'elle ait été, a la conscience de n'avoir point tout dit. Nous n'épuisons jamais une œuvre d'art ; nous en prenons ce que nous pouvons pour notre consommation, pour notre nourriture personnelle, et nous en assimilons des parties différentes selon nos tempéraments et nos besoins. C'est pourquoi la critique varie et se renouvelé avec les individus, avec les époques ; elle n'est jamais achevée, jamais fermée. Une œuvre d'art est comme une source éternelle; des hommes de cieux et de siècles divers y viennent en longs pèlerinages. Chacun y puise avec le vase qu'il