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parmi les accents les plus passionnés cl les plus fiers qui aient frémi sur les lèvres d'un poète. Elles comptent entre les perles de son génie. Mais, à côté de cette œuvre personnelle, il a accompli, en quelque sorte, une œuvre nationale. Mettant de côté et laissant intactes celles des vieilles chansons qui méritaient de vivre, il a ramassé tout le reste. Il a fait un tas avec des débris, des lambeaux de chansons, des refrains isolés, des strophes dépareillées, des titres sans chansons, des airs sans paroles, des mélodies souillées de vers ineptes ou indécents. Il a pris là-dedans son bien oii il le trouvait. Avec ces fragments, il a fait une œuvre, mi-partie de restauration, mi-partie de création. Conservant tout ce qui valait quelque chose, recueillant la plus mince parcelle d'or, il tirait du moindre indice une inspiration qui s'appuyait sur lui, le développait, le complétait, et l'encadrait, avec une adresse singulière. D'autres fois , c'était une chanson tout entière qu'il modifiait. Elle était trop grossière ou trop banale ; il l'épurait, gardait quelques vers, ici une strophe, là un refrain, la relevait de touches brillantes, l'animait d'un accent sincère, la rendait transformée et embellie. Il ressemblait à un grand peintre, par les mains de qui passerait une suite de vieux tableaux à moitié effacés et frustes. Tantôt il ne garderait que le sujet pour refaire la toile tout entière; tantôt il dessinerait de nouvelles têtes ; tantôt il animerait les yeux et les lèvres de celles qui existent; tantôt il retoucherait l'ensemble, faisant revivre toutes ces œuvres d'une vie nouvelle et plus splendide que celle qu'elles avaient connue. Il rendrait ainsi une galerie neuve, marquée partout des traces brillantes de son pinceau aux endroits qui fout vivre. C'est ainsi qu'a fait Burns. Ce qu'il a conservé de vieux fragments poétiques est devenu sien. Il a, de cette façon, composé ou refait un nombre considérable de chansons, dans tous les genres, rêveuses, joyeuses, attristées, légères, comiques, passionnées. Elles vont de l'ode guerrière ou sociale au refrain grivois, et d'une poésie élevée à l'observation réaliste. Quelques-uns de ses critiques ont estimé que ce sont elles qui le feront le plus sûrement immortel. Carlyle a dit : « De beaucoup, les pièces les plus achevées, les plus complètes et les plus réellement inspirées de Burns se trouvent sans discussion parmi ses chansons. C'est ici, bien que ce soit par une petite ouverture, que sa lumière brille avec le moins d'obstacles, dans sa plus haute beauté et sa pure clarté soleilleuse * ».

On peut mesurer maintenant combien les ballades et les chansons ont agi sur Burns de façon opposée. Les premières ne lui ont inspiré que de l'indifférence ; il en a mal parlé, et il n'en a laissé que quelques imita- tions inférieures. Les secondes ont excité eu lui un enthousiasme dont on retouve l'expression à toutes les périodes de sa vie ; il les a étudiées,

1 Carlyle. Essay on I^urns,