Page:Angellier - Robert Burns, II, 1893.djvu/90

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chambre des mariés et jettent sur le lit les cadeaux de noce. Les plaisan- teries roulent. Gars et filles reparaissent mal éveillés, les yeux gonflés de sommeil. La ripaille recommence plantureusement. Les tréteaux qui portent les barils de bière sont soulagés. On essaye de griser le nouveau marié. L'aie coule sur les tables et sur le sol. Une buée d'ivresse monte. Le savetier, le meunier, le forgeron, et Dick, et les autres s'en vont, titubant et trébuchant. Le brave Hutchon a la tête qui bourdonne, comme si elle était pleine de guêpes. Tout cela est plein de détails orduriers ou scabreux, qui rappellent certains coins et certains à-parte des toiles deTéniers. Tous ces mauvais sujets finissent par rentrer chez eux, oii leurs femmes les accueillent diversement. Le nouveau marié, qu'on a fini par griser jus- qu'aux moelles, va, se tenant à peine debout, rejoindre la mariée. Cela réjouit beaucoup Ramsay et lui inspire des plaisanteries qui ne seraient à l'aise que dans du vieux français. Ainsi finissent les choses. Il y a, par tout cela, un excellent brouhaha d'ivrognerie et de gaîté rustiques ; c'est vivant, gai, aisé ; le langage est observé ; la strophe, cette strophe diffi- cile et compliquée, est maniée avec un grand bonheur de main. Mais il n'y a là, ni la vigueur de pinceau du vieux poète, ni la large et vraie humanité de Burns. C'est un joli pastiche.

L'autre poème national de Ramsay, Le Nolle Berger^ est son plus haut effort et son plus solide titre de gloire. C'est une pastorale roma- nesque. Le noble berger est le fils d'un seigneur exilé pendant la Révo- lution de 1648. Il a été élevé, par un vieux berger fidèle, parmi les autres bergers, sur lesquels il l'emporte par une supériorité native. Il aime une jeune bergère et il en est aimé. Le retour de son père, à la Restau- ration, lui révèle son origine noble et lui déchire le cœur. Comment épousera-t-il maintenant l'humble fillette de village, malgré sa beauté et sa vertu ? Heureusement on découvre que la jeune bergère est elle-même une fille noble, et tout se termine par des hymen, hymen, o hymenaee.

Il était possible de tirer de cela quelque chose de semblable à l'adorable pastorale de Comme il vous flaira. Le sujet n'en est pas très différent. On conçoit, dans le paysage et les mœurs écossais, une intrigue nourrie de passion et d'action, se nouant et se dénouant, à travers la fantaisie de situations romanesques, dans la vérité supérieure et perma- nente des instincts humains. Le goût de Ramsay, ni celui de son époque n'allaient de ce côté. Il n'a pas tenté une pastorale shakspearienne. La sienne est une pastorale classique , dans la manière italienne , à la façon de L'Amintas , du Tasse, et du Fidèle Berger, de Guarini, sans action, toute en description, en tirades poétiques, en dialogues dont la régularité rappelle les couplets alternés des églogues. Elle se passe dans une vie trop innocente pour ne pas être arcadienne. L'œuvre a quelque chose de faux, qui, du reste, était dans la culture intellectuelle de Ramsay. Il avait gâté sa faculté de voir directement, par un souci