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bienveillance sympathique par le Président de la Cour, en présence d’une multitude attendrie, morne et silencieuse, les Criminels ont soutenu cette foudroyante apostrophe avec fermeté et hardiesse. Cependant Cambray, prenant une attitude fière et hautaine et relevant la tête, a laissé couler le long de ses joues quelques grosses larmes, qu’il eût été difficile de prendre pour des larmes de faiblesse ou de regret, tandisque que Mathieu, aussi à son aise que s’il n’eût pas été question de lui, s’amusait à jouer avec l’une de ses mains sur la barre des criminels : mouvement qui n’eut été qu’insignifiant ou ridicule dans une autre occasion, mais qui dans celle-ci laissait dans l’âme du spectateur une impression pénible et douloureuse.




La première nuit que passe, dans le cachot, le condamné, après avoir reçu sa sentence de mort, est une nuit d’oppression, d’horreur, de palpitante agonie, qu’il nous est impossible de peindre, d’analyser. Car qui pourrait faire comprendre à l’homme plein de santé et d’espoir les désolantes sensations qu’éprouve le malheureux dont l’existence est assurée d’une mort prochaine et infâme, d’un terme fixe et connu ? Chaque mouvement, chaque pensée, chaque crispation de nerfs est pour lui un pas vers sa fin, un fil retranché au lien qui le tient à la vie, et ajouté à celui qui doit le lancer dans l’éternité ; un appel retentissant qui l’enlève à la justice des hommes pour le livrer à la justice de Dieu. Toujours devant les yeux des murs grisâtres et sourds, une clarté livide, des portes énormes, des gardiens, des chaînes, un bourreau, et puis l’infamie et la mort ; la mort ! spectre affreux, que tout le monde a vu et doit voir, et dont tout le monde semble douter ; la mort ! que le condamné est seul destiné à regarder face-à-face, debout devant lui, inexorable, inflexible : telle est le sort du malheureux sur la tête duquel pèse une sentence de mort. C’est la certitude de sa fin, à une époque fixe, qui double et triple ses souffrances. S’il avait encore la satisfaction de pouvoir se convaincre de l’équité de la loi ! mais il y a toujours au fond de son cœur cette voix désespérante qui lui crie, avec l’accent de la rage : « l’homme a-t-il le droit de t’ôter la vie ? n’as-tu pas de ton côté celui de qui tu la tiens ? » et il se déchaîne contre la société, s’obstine dans le crime, et arrive sur l’échafaud la haine et la vengeance dans l’âme ! Telles furent à peu près les sensations qu’éprouvèrent Cambray et Mathieu, modifiées toutefois par le caractère particulier de l’un et de l’autre : le premier s’emporta d’abord comme une bête féroce, bondissant de frénésie, secouant ses chaînes, criant, hurlant, et puis se calmant bientôt pour réfléchir à tête reposée sur sa condition, trouver des expédiens, gagner des sympathies, et conjurer encore une fois l’orage ; le second, plus résigné et moins violent, resta sombre et froid, ne nourissant aucun espoir d’échapper au gibet, et ne voyant dans tout cela qu’une consé-