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Un des plus originaux de cette première période est certainement le troubadour Marcabrun. Il était originaire de Gascogne, et, si l’on en croit la biographie, il eut une triste jeunesse. « On le trouva devant la porte d’un homme riche et on ne sut jamais rien de sa naissance. » On l’appelait, continue le biographe, Pain perdu (Pan perdut). Diez plaçait son activité entre 1140 et 1195 ; mais il semble plus vraisemblable de ne pas la faire remonter au delà de 1150. Il fut l’élève du troubadour Cercamon[1], ainsi nommé parce qu’il avait passé une partie de sa vie à courir le monde ; ce maître de Marcabrun par sa conception sensuelle (au moins en partie) de l’amour paraît se rattacher au comte de Poitiers : on va voir comment son disciple s’en éloigne[2].

Il reste de Marcabrun une quarantaine de poésies ; parmi elles, il en est plusieurs qui se distinguent par leur fraîcheur et leur sincérité ; nous avons déjà cité une de ses plus belles romances et une jolie pastourelle. Mais toute une partie de son œuvre reste obscure ; « nous en comprenons à peine le quart » dit un critique. C’est qu’il est un des premiers à employer ce genre de style obscur et recherché qui s’appelle le trobar clus ; c’est sa conception de la forme dans la haute poésie.

Ce qui fait son originalité, c’est sa conception de l’amour. Un des premiers représentants de cette poésie dont tout l’effort a pour ainsi dire porté sur le développement unique de ce thème est un misogyne ; on doit à ce troubadour de la première période les

  1. Sur Cercamon, cf. l’édition du Dr Dejeanne, Toulouse-Paris, 1905. Cercamon fait allusion une fois au Poitou (V) et il a écrit un planh sur la mort de Guillaume X, comte de Poitiers. Ces détails nous paraissent avoir quelque importance pour l’étude de l’influence qu’a pu exercer l’œuvre du premier troubadour Guillaume IX.
  2. Marcabrun fut un satirique si violent que, si l’on en croit son biographe, les châtelains de Guyenne, dont il avait dit beaucoup de mal, le firent mettre à mort.