Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/118

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et si le mari vous bat, gardez bien qu’il ne vous batte pas le cœur. S’il vous cause du chagrin, causez-lui-en aussi et qu’avec vous il ne gagne pas le bien pour le mal.

Admirons en passant la légèreté avec lequel le troubadour supporte les… malheurs d’autrui. La strophe suivante est d’un ton plus relevé.

Celle du monde que j’aime le plus, de tout cœur et de bonne foi, qu’elle m’entende et accueille mes prières, qu’elle écoute et retienne mes paroles ; si on meurt par excès d’amour, j’en mourrai, car en mon cœur je lui porte un amour si parfait et si naturel que tout amour, le plus loyal du monde, est faux en comparaison du mien[1].

Mais Bernard s’aperçut bientôt qu’il s’était trompé dans son espoir ; la chanson suivante exprime la mélancolie qu’il éprouva de quitter son pays natal.

Tous mes amis m’ont bien perdu, là-bas, vers Ventadour, puisque ma dame ne m’aime plus… Elle me montre un visage irrité parce que je mets mon bonheur à l’aimer ; voilà la seule cause de sa colère et de ses plaintes.

Semblable au poisson qui se lance sur l’appât et qui ne s’aperçoit de rien jusqu’à ce qu’il s’est pris à l’hameçon, je me laissai aller un jour à trop aimer, et je ne m’aperçus (de ma folie) que quand je fus au milieu des flammes qui me brûlent plus fort que le feu au four ; et cependant je suis si pris dans les liens de cet amour que je ne puis secouer ses chaînes.

Je ne m’étonne pas qu’Amour me tienne pris dans ses liens, car ma dame est la plus belle qu’on puisse voir au monde ; belle, blanche, fraîche, gaie et joyeuse, tout à fait semblable à mon idéal ; je ne puis en dire aucun défaut…

  1. M. W., I, p. 19.