Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque je vois, parmi la lande, des arbres tomber la feuille, avant que la froidure se répande et que le beau temps se cache, il me plaît qu’on entende mon chant : je suis resté plus de deux ans sans chanter, il faut que je répare (cette négligence).

Il m’est dur d’adorer celle qui me témoigne tant d’orgueil : car, si je lui demande une faveur, elle ne daigne pas me répondre un seul mot. Mon sot désir cause ma mort ; car il s’attache aux belles apparences d’amour, sans remarquer qu’amour le lui rende.

Elle est douée de tant de ruse et d’adresse que je pense bien qu’elle voudra m’aimer bientôt tout doucement (secrètement ?) et me confondre avec son doux regard. Dame, ne connaissez-vous nulle ruse ? Car j’estime que le dommage retombera sur vous, s’il arrive quelque mal à votre homme-lige.

Que Dieu, qui gouverne le monde, lui mette au cœur la volonté de m’accueillir près d’elle. Je ne jouis d’aucun bien, tellement je suis craintif devant ma dame ; aussi je me mets à sa merci, pour qu’elle me donne ou me vende selon son plaisir.

Elle agira bien mal, si elle ne me mande pas de venir près d’elle, dans sa chambre, pour que je lui enlève ses souliers bien « chaussants », à genoux et humblement, s’il lui plaît de me tendre son pied.

Le vers est terminé et il n’y manque aucun mot ; il a été écrit au delà de la terre normande et de la mer profonde et sauvage ; et quoique je sois éloigné de ma dame, elle m’attire vers elle comme un aimant ; que Dieu la protège !

Si le roi anglais et duc normand le permet, je la verrai avant que l’hiver nous surprenne[1].

Le lien étroit qui rattache la conception de l’amour aux coutumes de la chevalerie apparaît dans plusieurs passages de cette chanson. Le poète est à la disposition de sa dame, qui peut faire de lui ce qu’elle voudra. Au point de vue du droit féodal si le

  1. Texte de Mahn, Gedichte der Troubadours, no 707.