Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/129

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Ce défaut capital, qui va s’accentuant pendant le xiiie siècle, n’apparaît guère encore chez Bernard de Ventadour. Sans doute les yeux exercés peuvent y reconnaître des germes de caducité et de décadence, mais ils y sont rares. Ce qui domine c’est la finesse, une finesse apprêtée et maniérée dont malheureusement le charme disparaît dans la traduction ; une imagination vive et sensible ; et surtout une fraîcheur de sentiment et de poésie qu’on ne retrouve pas souvent dans la poésie provençale. Il n’est pas jusqu’aux débuts de ses chansons (qui en sont pourtant la partie conventionnelle) qui ne se distinguent par la fraîcheur et l’originalité des descriptions. Il a vu « l’alouette mouvoir de joie ses ailes vers le soleil » ; il a entendu le rossignol « se réjouir sous les fleurs du verger ». Il sait exprimer avec une grâce et une poésie toutes naïves les sentiments que fait naître en lui le contraste entre l’aspect de la nature et l’état de son cœur. Quand ce cœur est à la joie, peu lui importe que la neige couvre le sol : l’hiver est alors un printemps et la neige lui rappelle les fleurs blanches du mois de mai ; quand le pâle soleil d’hiver est caché, « une clarté d’amour ensoleille son cœur ». Le chant du rossignol l’éveille, « tout réjoui d’amour » ; mais si son cœur est à la tristesse, ce même chant n’a plus de charmes : « moi qui aimais chanter, je meurs de tristesse et d’ennui, quand j’entends joie et allégresse ». C’est le même sentiment qui lui a inspiré la chanson citée plus haut et dont nous rappelons le trait suivant : « car la nature déborde de joie,