Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/134

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épître ; c’est un genre nouveau qui apparaît dans la littérature provençale avec Arnaut de Mareuil : genre un peu faux sans doute, mais qui ne l’est qu’aux mains des poètes maladroits. L’épître d’Arnaut de Mareuil, malgré un excès de recherche et de finesse, malgré en un mot la préciosité, peut rester comme modèle du genre.

Je suis affligé, dame, quand mes yeux ne peuvent vous voir ; mais mon cœur est resté près de vous, depuis le jour où je vous vis et il ne vous jamais quittée… il est nuit et jour près de vous, où que vous soyez ; nuit et jour il vous courtise… quand je pense à autre chose, il me vient de vous un courtois message, porté par mon cœur qui est votre hôte[1]

Ce n’est pas un messager muet ou malhabile que ce cœur ; il rappelle au poète oublieux non seulement les nobles qualités morales de sa dame, mais aussi sa beauté. Et voici le curieux portrait que nous en trace Arnaut de Mareuil ; voici quel était à ses yeux, et sans doute aux yeux de ses contemporains, l’idéal de la beauté féminine. Le gentil messager qu’est mon cœur, dit-il à sa dame, me montre « votre corps gracieux, votre belle chevelure blonde et votre front plus blanc qu’un lys, vos beaux yeux clairs et rieurs, votre nez droit et bien fait, les fraîches couleurs de votre visage, blanc, plus vermeil qu’une fleur… » Telle est l’image que le messager remet sous les yeux du poète prêt à oublier. La femme ainsi décrite ressemble comme une sœur à ces miniatures qui ornent certains manuscrits du moyen âge, ceux du cycle breton par

  1. M. W. I, 151 et suiv.