Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/135

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exemple. La blancheur du teint, la fraîcheur des couleurs, des dents blanches, des doigts grêles, des yeux clairs et rieurs et un nez bien fait forment les principaux éléments de leur beauté ; et, à comparer plusieurs de ces miniatures au portrait ici tracé, nous pouvons avouer sans peine que nos aïeux n’eurent pas trop mauvais goût[1].

Qu’on ne s’étonne pas de l’impression produite sur le poète par cette vision ; il s’incline les mains jointes et les yeux baissés vers le pays où est sa dame. N’avions-nous pas raison de dire que les troubadours ont inventé le culte de la femme ? Nous n’aurons pas à nous étonner de la transformation qui changera bientôt l’amour ainsi entendu en amour mystique.

Nous relèverons encore un trait dans cette curieuse composition : « Quand je parle ainsi, dit-il après un aveu, je ne puis plus rien dire, je ferme les yeux, je soupire et je marche tout endormi en soupirant… » Il y a là en germe ce que Victor Hugo a si bien rendu avec son ordinaire splendeur verbale :

Donc je marchai vivant dans mon rêve étoilé.

Arnaut de Mareuil a probablement introduit dans la poésie provençale l’épître amoureuse ; mais ce genre eut peu de succès. Il n’en fut pas de même d’un autre genre poétique dont Arnaut de Mareuil paraît avoir donné aussi la premier modèle. Il a composé en effet, sous le titre d’enseignement, une sorte de petit poème didactique et moral qui contient des remarques pré-

  1. On peut rapprocher de cette description un passage d’une poésie lyrique d’Arnaut de Mareuil (M. W. I, p. 156). « Elle est plus blanche qu’Hélène, plus belle qu’une fleur naissante, pleine de courtoisie ; de ses dents blanches ne sortent que des mots sincères, son cœur est franc sans mauvaises pensées, sa couleur est fraîche et ses cheveux blonds ; que Dieu la garde, car jamais je n’en vis de plus belle. »