Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/145

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L’anecdote nous laisse deviner de quoi était faite en partie la gloire, la renommée du poète Arnaut Daniel aux yeux de ses contemporains. C’est le poète des rimes riches, des rimes « chères », comme il dit. Il choisit, parmi les rimes, les plus rares et la nécessité de les enchâsser au bout des vers n’est pas pour rendre la pensée plus claire ou la suite des idées plus nette.

Il a de plus l’habitude de faire rimer les mots non dans la même strophe mais d’une strophe à l’autre. Et c’est ainsi qu’il fut d’après Dante, qui l’a imité, l’inventeur de la « sextine », où les six rimes enjambent, suivant un certain ordre, de l’une à l’autre des six strophes.

Cette recherche de la rime rare, tous ces artifices de versification que nous ne pouvons énumérer ici n’étaient qu’un des côtés de ce que l’on appelait le « style obscur » (trobar clus) ou plutôt « fermé ». Les jeux de mots, les allitérations les plus fortes, en étaient un autre. Pour dérouter le lecteur profane, le troubadour détournait les mots de leur sens habituel, il en créait de nouveaux, les affublait de terminaisons nouvelles ; comme cela n’aurait peut-être pas suffi à produire la bonne obscurité que l’on cherchait, on laissait aller la pensée à l’aventure ; et l’ensemble de ce « beau désordre » était sans doute un « produit de l’art », mais de quel art ! C’est pourtant à cette conception qu’Arnaut Daniel devait le meilleur de sa réputation. C’est pour avoir exprimé ses pensées sous la forme la plus obscure que Dante l’a appelé le