Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chantre de l’amour et que Pétrarque le nomme le grand maître de l’amour et de la poésie[1]

On comprend qu’il soit plus difficile ici qu’ailleurs de donner par une traduction une idée de la manière d’Arnaut Daniel. Tout le charme — en nous plaçant à son point de vue — disparaîtrait : ce serait une trahison. Voici cependant quelques extraits d’une des rares poésies qui ne soient pas inintelligibles ; on y retrouvera quelques traits qui rappellent les chansons de Bernard de Ventadour. C’est sans doute la seule à propos de laquelle le nom du représentant du « style clair » que fut Bernard de Ventadour puisse être évoqué.

Lorsque la feuille tombe des cimes les plus hautes et que le froid s’élève et sèche les rameaux, le taillis est privé du doux refrain des oiseaux, mais mon amour est parfait…

Tout est glacé, mais je ne puis avoir froid ; car un nouvel amour me fait reverdir le cœur ; je ne frissonne pas de froid, car amour me couvre et me cache, c’est lui qui me donne ma valeur et me guide.

La vie est bonne quand la joie la mène, et tel me blâme, qui est bien loin de cet idéal ; je ne puis conseiller qui me blâme, car par ma foi, j’ai ma part de ce qu’il y a de mieux.

Je ne veux pas que mon cœur se mêle d’un autre amour, ni qu’il tourne ma tête ailleurs ; je ne crains pas qu’il y ait femme plus belle que ma dame, ni même qui lui ressemble[2].

Dante a placé Arnaut Daniel dans le « Purgatoire » ; c’est en « Enfer » qu’il rencontre Bertran de Born.

Je vis un spectacle que j’aurais peur de décrire, sans plus de preuves, si ma conscience ne me rendait fort… Je

  1. Le Moine de Montauban lui reproche de n’avoir composé dans sa vie que deux mauvais vers, auxquels personne ne comprend rien ; Diez, L. W., p. 283.
  2. Mahn, Gedichte der Troubadours, no 427.