Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/176

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qu’il faudrait juger uniquement Folquet de Marseille. Il sait s’exprimer avec plus de simplicité et aussi avec plus de sincérité et de profondeur, par exemple dans le début de la chanson suivante.

Si j’avais le cœur à chanter, ce serait bien le moment de faire des chansons pour maintenir la joie ; mais quand je considère ma part de bonheur et de malheur, je suis bien affligé de mon lot ; on me dit riche et heureux, mais ceux qui le disent ignorent la vérité ; il n’y a de bonheur que quand tous nos vœux sont accomplis ; un pauvre joyeux est plus riche qu’un grand riche sans joie…

Si je fus gai et amoureux, je n’ai plus de joie d’amour et je n’en espère aucune ; nul autre bien ne peut plaire à mon cœur ; les autres joies me semblent des tristesses ; sur mon amour je vous dirai la vérité ; je n’ose le quitter et je n’ose bouger ; je n’ose m’élever et je n’ose rester en place ; je suis comme un homme qui, arrivé au milieu d’un arbre, est monté si haut qu’il n’ose ni redescendre ni aller plus loin, tellement cela lui paraît dangereux…

La chanson se termine par un intéressant aveu

Je pensais mentir (entendez : plaisanter) mais malgré moi je dis la vérité… je pensais faire croire ce qui n’est pas, mais malgré moi ma chanson devient vraie[1].

Sans doute il ne faut pas attribuer trop d’importance à cette déclaration ; mais plus d’un troubadour pouvait la faire. Les plaintes de Folquet de Marseille ne sont peut-être qu’un jeu poétique où l’esprit seul a sa part ; cependant il ne serait pas étonnant en cette matière que le cœur ait été souvent la dupe de l’esprit.

Folquet dut quitter Marseille pour une impru-

  1. M. W. I, 319.