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Plusieurs points sont dignes de remarque dans cette courte biographie ; il y est dit en particulier que Peire Cardenal composa peu de chansons : elles sont rares en effet dans son œuvre et le peu qu’il en reste nous laisse voir que Peire Cardenal n’avait aucun goût pour la poésie amoureuse.

Peire Cardenal est en effet un « misogyne » ; il continue dans la poésie provençale la tradition inaugurée par Marcabrun. Comme lui, il s’attaque à l’amour vénal et, avec son tempérament satirique, ne lui ménage pas ses traits, comme au début de la chanson suivante.

Les amoureuses, quand on les accuse, répondent gentiment. L’une a un amant parce qu’elle est de grande naissance, et l’autre parce que la pauvreté la tue ; l’autre a un vieillard et dit qu’elle est jeune fille, l’autre est vieille et a pour amant un jeune homme ; l’une se livre à l’amour parce qu’elle n’a pas de manteau d’étoffe brune, l’autre en a deux et s’y livre tout autant.

Celui-là a la guerre bien près qui l’a au milieu de sa terre ; mais il l’a bien plus près encore quand elle est près de son coussin ; quand la femme n’aime pas son mari, cette guerre est la pire de toutes. Si tel que je connais était au delà de Tolède, il n’y a sœur, femme, ni cousin qui ne s’écriât : « Que Dieu me le rende ! » ; mais quand il part, le plus triste est forcé de rire[1].

C’est là sans doute de la satire un peu facile ; elle nous paraît telle du moins ; mais elle est originale dans cette poésie idéaliste des troubadours. Il en est peu, très peu, au moins chez les plus grands, où l’on remarque un pareil sens de la vie. La plupart de

  1. Peire Cardenal, Gr., 30 ; Appel, Prov. Chr., no 78.