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gnon — devant, à côté, derrière lui — le Crime ; la Convoitise est du cortège, le Tort porte la bannière et l’Orgueil le guidon[1]. »

La sympathie du satirique est acquise aux victimes de ces grands criminels, aux pauvres gens qui ont si souvent pâti, au moyen âge, des crimes des grands. Il les console, comme le ferait un prédicateur : « Comme l’argent s’affine dans le feu ardent, ainsi s’affine et s’améliore le bon pauvre qui garde sa patience au milieu des durs travaux ; quant au mauvais riche, plus il cherche son bien-être, plus il gagne de douleur, de peine et de chagrin[2]. »

Notre troubadour a exposé une fois sous une forme originale sa conception du monde ; voici le récit qu’il a imaginé.

Il existait une cité, je ne sais où ; il y tomba une pluie de telle nature que tous ceux qui en furent atteints devinrent fous : tous, à l’exception d’un seul… il se trouvait dans sa maison et dormait quand la pluie tombait. Quand la pluie eut cessé, il se leva et vint parmi le public ; il vit faire toutes sortes de folies : l’un lançait des pierres, l’autre des bâtons, l’autre déchirait son manteau ; celui-ci frappe son voisin, celui-là pense être roi, l’autre saute à travers les bancs… Celui qui avait son bon sens fut fort étonné de ce spectacle, mais les autres manifestaient encore plus d’étonnement ; ils pensent qu’il a perdu son bon sens, car ils ne lui voient pas faire ce qu’ils font ; il leur semble que ce sont eux qui sont sage et sensés et que c’est lui le fou[3].

Bref ils lui tombent dessus à bras raccourcis et il s’enfuit à demi mort. C’est l’image du monde, dit

  1. Parn. occit., 313.
  2. Ibid., 312.
  3. Ibid., 321.