Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/193

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voleurs, larrons, parjures, traîtres que le diable mène et qu’il enseigne comme on ferait un enfant…

Je regrette qu’un homme soit voleur, mais je regrette bien plus qu’il jouisse trop longtemps de ses vols et qu’on ne l’ait pas pendu… je ne regrette pas que ces gens-là meurent, mais je regrette qu’ils vivent et qu’ils aient des héritiers pires qu’eux…

Je plains le monde, où il y a tant de fripons ; les hommes y sont dans une telle erreur et perversité qu’ils regardent les vices comme des vertus et les maux comme des biens ; les preux sont blâmés, les lâches estimés, les mauvais deviennent bons, les torts sont des bienfaits et la honte est un honneur…

Il semble que mon chant ne vaut rien, car je l’ai ourdi et tissu de satires ; mais d’un méchant arbre on ne cueille pas facilement de bons fruits — et je ne sais pas faire un beau discours sur de mauvaises actions[1].

Jusqu’à quel point cette satire et tant d’autres du même genre correspondent-elles à la réalité ? Il est difficile de le dire. L’exagération, la violence, et un fonds inguérissable de pessimisme caractérisent les satiriques dans toutes les littératures. Mais d’autre part on sait comment les périodes de troubles et de violences déchaînent vite la bête humaine et Peire Cardenal, comme Agrippa d’Aubigné, par exemple, auquel il ressemble par certains côtés, a vécu dans un temps et dans un milieu où les mauvais instincts ont eu de belles occasions de se donner libre carrière.

Ce qui le choque le plus, dans cette société, c’est l’orgueil et la méchanceté des parvenus ; c’est encore là un de ses thèmes favoris ; le voici simplement indiqué, mais sous une forme imagée. « Quand un homme puissant est en chemin, il a comme compa-

  1. Raynouard, Lexique roman, I, 448.