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condition de la femme mariée n’était pas en réalité aussi bonne que l’aspect brillant de cette société le laisserait supposer. Le mariage était pour le grand seigneur une occasion d’accroître son domaine, simple seigneurie ou empire ; le bon mariage était celui qui lui permettait d’arrondir rapidement ce domaine.

Les divorces sont innombrables et scandaleux. On trouvait facilement des prétextes, mais le vrai motif était à peu près toujours le même : se débarrasser d’un premier lien pour une union nouvelle plus profitable, plus utile. On a cité l’étrange aventure de la fille de l’empereur de Constantinople qui trouva son royal fiancé, le roi d’Aragon, marié, en arrivant dans le Midi de la France, et que le seigneur de Montpellier épousa, non par amour, mais pour la perspective des droits qu’elle pourrait lui donner sur l’empire grec. On conçoit que ces unions d’intérêts, où le cœur ne paraît avoir eu aucune part, se dissolvaient rapidement quand les motifs qui les avaient fait naître disparaissaient ou s’affaiblissaient. Aussi les liens du mariage étaient-ils très relâchés et fort fragiles[1].

Cependant ils existaient, et quelque excusable que fût aux yeux de cette société la conception que les troubadours se faisaient de l’amour, elle n’était pas moins contraire à la morale et même au dogme chrétiens. Qu’on ne s’étonne donc pas de ne pas voir fleurir la poésie religieuse pendant la période la plus brillante de la poésie des troubadours.

  1. Cf. un article de M. A. Luchaire, Revue Bleue, janvier 1908. À propos de l’aventure de la fille de l’empereur Manuel, voir les réserves que nous avons faites dans les notes du chapitre VII.