Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/205

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c’est pour les mettre en assez mauvaise compagnie, et il leur rend, en les nommant, à peu près le même hommage qu’il leur rendrait par un juron.

Le sentiment religieux n’apparaît pas davantage chez les troubadours de la première période ; il est également à peu près absent de la période « classique ». Jaufre Rudel, Bernard de Ventadour, Arnaut Daniel, Bertran de Born, Arnaut de Mareuil n’ont composé aucune poésie religieuse.

C’est que la religion tenait peu de place dans la société où ils ont vécu. Il y avait peu de mécréants sans doute ; mais il semble bien que les sentiments religieux y furent assez tièdes et que la religion y fut une affaire privée, la vie extérieure étant tournée vers des sujets plus profanes. Si nous jugeons de cette société du xiie siècle par la littérature des troubadours, les doctrines de l’amour courtois paraissent avoir tenu plus de place dans ses occupations et ses préoccupations que l’étude de l’Évangile et celle plus austère de la théologie.

L’amour chanté par les troubadours était sans doute doué d’un pouvoir ennoblissant, il purifiait l’âme, en même temps qu’il élevait le cœur et l’esprit. Mais, d’abord, quelques troubadours — et non des moindres — concevaient l’amour sous une forme moins idéale et moins pure[1]. De plus l’amour ainsi conçu, comme on l’a vu dans un précédent chapitre, ne pouvait s’adresser qu’à la femme mariée. Certes cette conception paraissait moins immorale dans la société du temps qu’elle ne le serait aujourd’hui. La

  1. Parmi les poésies érotiques des troubadours, il faudrait citer quelques poésies de Guillaume de Poitiers, une d’Arnaut Daniel, quelques chansons de Daude de Prades, chanoine de Maguelone, les tensons grossières de Montan et de sa dame, de Mir Bernard et de Sifre, quelques tensons de Guiraut Riquier.