Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/210

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pour nous est celle où il dit adieu au monde : le gai compagnon qu’il fut trouve les accents les plus justes pour chanter cette séparation.

Je demande pardon à mon compagnon ; si jamais je lui ai fait du tort qu’il me pardonne… J’ai été l’ami de « Prouesse » et de « Joie » ; maintenant je me sépare de l’une et de l’autre ; et je m’en vais vers celui où tous les pécheurs trouvent la paix. J’ai été très jovial et très gai, mais notre Seigneur ne le veut plus ; maintenant je ne puis plus supporter le fardeau (de la vie ?), tellement je suis proche de la fin. J’ai quitté tout ce que j’aime, la vie chevaleresque et brillante ; mais puisqu’il plaît à Dieu, je me résigne et je le prie de me retenir parmi les siens[1].

C’est à peu près dans les mêmes termes, mais avec plus de grâce mélancolique, qu’un troubadour de la première période, Pierre d’Auvergne, prend congé du monde, du « siècle ». « Amour, vous auriez bien sujet de vous plaindre, si un autre que le Juge juste m’éloignait de vous, car c’est à vous que je dois les honneurs et la gloire. Mais ceci ne peut durer, Amour courtois ; je cesse d’être votre ami, je suis trop heureux d’aller où le Saint-Esprit me guide ; c’est lui qui me mène ; ne vous fâchez pas si je ne reviens pas vers vous[2]. » On croirait entendre comme un écho de la gracieuse composition où le même poète fait du rossignol un si habile messager d’amour.

Il semble que cet adieu de Pierre d’Auvergne à l’amour ait été définitif. Il reste de lui une série de pièces consacrées uniquement à exprimer les

  1. Éd. Jeanroy, XI.
  2. Pierre d’Auvergne, éd. Zenker, XV, str. VIII.