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principe du mal dans le monde. La hardiesse de Peire Cardenal dans cette conception n’est égalée que par celle d’un troubadour obscur de la décadence qui, dans une tenson avec Dieu, discute en toute liberté le problème du mal[1].

Mais les poésies de ce genre sont en somme rares : les deux que nous venons de rappeler sont les plus hardies. D’ordinaire les troubadours ne traitaient pas des sujets aussi relevés ; d’abord ils n’en avaient pas le goût et puis le jeu était dangereux. L’Église s’est toujours défiée des auxiliaires qui, en dehors des rangs du clergé, ont voulu l’aider dans les querelles et les discussions théologiques et métaphysiques ; au moment où l’Inquisition fonctionnait dans le Midi de la France, il y avait quelque imprudence pour les poètes à traiter des sujets qui touchaient au dogme ; plus d’un qui en eut peut-être l’idée en fut retenu par la « crainte du Seigneur » et surtout des représentants plutôt rudes qui jugeaient en son nom.

La poésie de Peire Cardenal se terminait par une invocation à la Vierge. Ceci est quelque chose de nouveau dans la lyrique provençale. Cette simple mention permet de juger la différence qui existe entre l’époque de Jaufre Rudel et de Bernard de Ventadour et celle de Peire Cardenal. Une autre poésie du même troubadour marquera mieux cette différence : c’est une chanson en l’honneur de la Vierge.

Vraie Vierge Marie, véritable vie et véritable foi, vraie mère et véritable amie, vrai amour et vraie pitié, que par

  1. Le troubadour qui a composé cette curieuse tenson avec Dieu est Daspol ou Guillem d’Autpoul, qui a vécu dans la deuxième partie du xiiie siècle. Cf. le texte dans Paul Meyer, Les derniers troubadours de la Provence, in Bibl. Éc. Chartes, 30e année, p. 282.