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nesse, Beauté et Courtoisie sont restées aux mains de Béatrice[1].

Telle est la flatterie imaginée par notre troubadour. Suivant un chroniqueur italien, un événement un peu semblable à celui-là se serait passé à Trévise en 1214. On avait construit une forteresse en bois ; la garnison était composée de deux cents dames, les plus belles de la contrée ; pour casques elles avaient des couronnes de pierreries et pour cuirasses de riches étoffes. De jeunes chevaliers donnaient l’assaut ; leurs armes étaient des fruits, des fleurs et des flacons de parfums. Telle est l’histoire que racontent de graves auteurs, entre autres le savant Muratori. C’est déjà l’assaut de la redoute, une partie de carnaval galant. Nous n’entreprendrons pas ici de rechercher l’origine de cette légende ; légende ou réalité, celle-là aussi est bien digne du temps[2].

Le même Raimbaut de Vaquières, dans sa recherche de l’originalité, a composé un descort ou désaccord en cinq langues. Le descort était un court poème sans règles fixes ; le désordre produit par le changement du mètre marquait que le cœur du poète n’était plus d’accord avec celui de sa dame. Quelle harmonie devait donc régner entre Raimbaut de Vaquières et Béatrice pour qu’il ait eu recours à une pareille cacophonie !

Mais des affaires plus sérieuses sollicitèrent bientôt l’attention du chevalier poète. Son seigneur, le marquis de Montferrat, fut appelé à Soissons pour recevoir le commandement d’une nouvelle croisade.

  1. Bartsch, Chr. Prov., col. 128.
  2. Diez, Leben und Werke, p. 236.