Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/258

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des désirs charnels ; mais on sent que la beauté physique de Laure l’a frappé, qu’il a été sensible à l’éclat de ses regards, et ce n’est pas dans l’école italienne qu’il a pris les traits de la description suivante : « En quel lieu, en quelle mine précieuse Amour a-t-il pris l’or dont il a fait ses deux blondes tresses ? sur quelles épines a-t-il cueilli ces roses ? sur quelle plage ces neiges tendres et fraîches ?… Où a-t-il pris ces perles qui arrêtent et voient se briser ces paroles si douces, si pures, si étrangères au monde ? Où a-t-il pris les beautés si grandes et si divines de ce front plus serein que le ciel ? » Rapprochons de ce passage le suivant, où Pétrarque célèbre « les mains blanches et déliées (de Laure), ses bras gracieux, sa démarche doucement altière… et sa jeune et belle poitrine siège d’une haute sagesse ». C’est en pensant à des passages de ce ton qu’un critique a pu dire, en quelques phrases qui sont d’heureuses formules : « Pétrarque n’adore pas l’idée, mais la personne de la femme ; il sent qu’il y a quelque chose de terrestre dans ses affections et il ne peut les séparer des désirs charnels[1]. » C’est par là qu’il s’éloigne de ses contemporains et qu’il se rapproche non des troubadours de la décadence, mais plutôt de ceux du xiie siècle.

L’histoire de l’influence de la poésie provençale en Italie peut être arrêtée ici[2] ; non qu’il n’y eût rien à ajouter ; au contraire cette influence est encore très vivante pendant le xive siècle. Bientôt elle diminue d’ailleurs et le classicisme de la Renaissance ita-

  1. Gaspary, op. laud., p. 401-402.
  2. On peut lire cette histoire dans l’excellent livre que M. Antoine Thomas a jadis consacré à Francesco da Barberino et la littérature provençale en Italie au Moyen âge, Paris, 1883.