Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/300

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Je trouvai l’autre jour une gaie bergère au bord de la rivière ; à cause de la chaleur la belle tenait ses agneaux à l’ombre ; elle faisait un chapeau de fleurs et était assise en un endroit élevé au frais. Je descendis de cheval. Elle fut avenante et m’appela la première.

Je lui dis : « Pourrai-je obtenir de vous quelque joie puisque vous m’êtes si avenante ? — Je cherche, me dit-elle, pensive, nuit et jour, un gentil ami. — Vous m’aurez sincère et fidèle, toute ma vie durant. — Cela se peut bien, seigneur, car il me semble qu’amour vous possède. — Oui, un amour farouche. — Seigneur, il est bien subit. — Jeune fille, si avant peu vous ne me secourez pas, l’amour que je vous porte me tuera. — Seigneur, l’homme qui souffre obtient du secours ; espérez. — Jeune fille, l’amour commence à me martyriser si fort qu’il me faut votre secours. — Seigneur, vous m’avez désirée timidement pendant quatre ans. — Je ne pense pas vous avoir jamais vue. — Seigneur, vous ne me connaissez pas ? — Êtes-vous folle ? — Non, seigneur, ni muette. »

Quelques années plus tard le poète rencontre la jeune bergère bien changée ; cette fois-ci c’est au tour de la jeune fille de ne pas le reconnaître.

L’autre jour je vis la bergère que j’ai vue si souvent ; elle était bien changée, car elle tenait sur ses genoux un petit enfant endormi ; elle filait comme une personne sage. Je crus qu’elle me serait familière à cause de nos trois entretiens ; mais je vis qu’elle ne me connaissait pas quand elle me dit : « Vous quittez votre chemin ? »

« Jeune fille, lui dis-je, votre agréable compagnie me plaît tant que j’ai besoin de votre amour. — Elle me répondit : Seigneur, je ne suis pas si folle que vous pensez ; j’ai mis mon amour ailleurs. — C’est une grosse faute ; il y a si longtemps que je vous aime sincèrement. — Seigneur, jusqu’aujourd’hui je ne crois pas vous avoir vu.