Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/301

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— Vous perdez la raison, jeune fille ! — Non, seigneur, de l’avis de tous.

— Sans vous, jeune fille, je ne puis trouver de remède à mon mal ; il y a si longtemps que vous me plaisez. — Ainsi me parlait, seigneur, Guiraut Riquier ; mais je ne m’y laissai jamais prendre. — Guiraut Riquier ne vous oublie pas : vous souvenez-vous de moi ? — Il me plaît plus que vous, seigneur, et sa vue me serait agréable. — Jeune fille, ma joie commence ; car je suis sans nul doute celui qui vous a fait connaître par ses chants. »

Le poète enorgueilli et flatté croit le moment venu de faire une nouvelle déclaration.

« Fille aimable, pourrions-nous nous mettre d’accord si j’étais discret ? — Seigneur, oui, mais il n’y aurait pas d’autre amitié que celle que nous nous témoignâmes la première fois… si j’avais été légère vous m’auriez tenue pour peu raisonnable. »

Voilà le mot de la coquette vertueuse qui a berné notre poète pendant les quatre premiers actes : les deux interlocuteurs ne parlent pas la même langue ; quand le poète parle d’amour, et même d’amour farouche, la bergère parle d’amitié. Dans les deux derniers actes — c’est-à-dire dans les deux dernières pastourelles — elle en arrive à sermonner le troubadour impénitent ; il est vrai que le temps a passé et que le poète la trouve quelques années après bien changée : « elle n’était plus belle comme autrefois », dit-il. Elle revenait d’un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle et n’en rapportait que des sentiments pieux. Le poète est devenu vieux et elle raille sans indulgence ses cheveux blancs ; la bergère a l’esprit