Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/52

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La connaissance de ces conditions d’existence doit nous rendre indulgents pour les troubadours. Ils manquent de dignité, c’est certain, dans les demandes qu’ils adressent aux grands seigneurs ; avec insolence ou humilité, par la menace ou la flatterie, ils tâchent d’obtenir, l’un un bon cheval, l’autre un beau vêtement, celui-ci quelques deniers : le milieu où ils vivaient n’était pas une école de caractère. Vouloir leur en faire un reproche, c’est méconnaître les conditions de leur vie et ignorer leur histoire. Renan, traitant dans l’Histoire littéraire de la France[1], de la poésie hébraïque au xiiie siècle, dit en parlant d’un poète juif, Gorni, dont la vie ressemble étrangement à celle d’un troubadour : « Gorni n’était pas poète d’une façon désintéressée… Il l’était de profession… Tout nous montre en lui un adulateur, ou un insulteur vénal, qui mesurait l’éloge ou le blâme aux profits ou aux mécomptes de sa vie de mendiant littéraire. » Les réflexions de Renan rappellent les critiques de ce bourgeois cossu qu’était Boileau, reprochant à Colletet, non pas de faire de mauvais vers, mais d’aller chercher son pain de cuisine en cuisine. Les troubadours allaient le chercher de château en château : cette nécessité explique et excuse bien des choses.

Ils y trouvaient de redoutables rivaux dans la personne des jongleurs. Les jongleurs étaient un héritage de la société romaine — ils existaient d’ailleurs avant elle — et on peut suivre leur histoire depuis l’Empire jusqu’aux origines des littératures mo-

  1. Histoire littéraire, XXVII, 723-724.