Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/54

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Et quel milieu que ce monde étrange et peu recommandable, où des troubadours déclassés voisinaient avec des montreurs de singes et d’ours ! De courts tableaux esquissés par le dernier troubadour, Guiraut Riquier, ainsi que d’autres témoignages, nous en donnent quelque idée. Nous y voyons le chanteur et le musicien ambulants, qui vont dépenser leur recette au cabaret ; le bateleur, avec ses tours de passe-passe, qui a si bien représenté la classe des jongleurs que son nom en est devenu synonyme ; le saltimbanque enfin, souvent accompagné de danseuses aux mœurs faciles, exhibant à la badauderie publique les nombreux animaux qu’il a dressés, oiseaux, singes, ours, chiens et chats savants ; tous les types en un mot de la foire et du cirque décorés du nom général de jongleur.

On pensera sans doute que ce sont là des tableaux d’une époque de décadence, et que les spectacles de ce genre étaient plus appréciés du peuple que des sociétés courtoises où fréquentaient ordinairement les troubadours. Cela est vrai, en partie. Cependant voici le divertissement qu’un grand seigneur du temps offrait à ses invités. Le récit en est emprunté au roman de Flamenca[1], si instructif pour l’histoire des mœurs. La scène se passe dans le palais de Bourbon d’Archambaut, qui est immense. C’est le jour de la Saint-Jean ; après le repas, les jongleurs se lèvent. « Chacun veut se faire entendre ; alors vous auriez entendu retentir des cordes de diverses mélodies ; qui sait un air nouveau de viole, chanson,

  1. Le gracieux roman de Flamenca, comprenant plus de 8 000 vers, a été publié deux fois par M. Paul Meyer, en 1865, et en 1901 le premier volume de cette deuxième édition (contenant le texte) a seul paru jusqu’ici. Le roman est du xiiie siècle et il est aussi intéressant pour l’histoire littéraire que pour l’histoire de la civilisation.