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Quand l’herbe verte et la feuille paraissent, et que les fleurs s’ouvrent dans les vergers, quand le rossignol fait entendre haute et claire sa voix et lance son chant, je suis heureux de l’entendre, heureux de voir la fleur. Je suis content de moi, mais encore plus de ma dame[1].

Le gentil temps de Pâques, avec la fraîche verdure, nous ramène feuilles et fleurs de diverses couleurs : c’est pourquoi tous les amants sont gais et chantent, sauf moi qui me plains et qui pleure, et pour qui la joie n’a pas de saveur…

Puisque l’hiver est parti et que le doux temps fleuri est revenu, puisque j’entends par les prés les refrains variés des petits oiseaux, les prés verts et les frondaisons épaisses m’ont rempli d’une telle joie que je me suis mis à chanter[2].

Voici le début d’une chanson de Jaufre Rudel.

Quand le ruisseau qui sort de la fontaine devient clair, et que paraît la fleur d’églantier ; quand le rossignol dans la ramure varie, module et affine son doux chant, il est juste que moi aussi je fasse entendre le mien[3].

Je suis heureux, dit Arnault de Mareuil, quand le vent halène en avril, avant l’arrivée de mai, quand, pendant toute la nuit sereine, chantent le rossignol et le geai ; chaque oiseau en son langage, dans la fraîcheur du matin, mène joie et allégresse[4].

Quelquefois ce thème du début est tout autre. Il se présente sous la forme suivante : le poète n’a pas besoin, pour chanter, d’attendre le retour du printemps ; l’amour qu’il a pour sa dame l’inspire en toute saison.

Ni pluie ni vent, dit Peire Rogier, ne m’empêchent de songer à la poésie ; la froidure cruelle ne m’enlève ni le chant, ni le rire ; car amour me mène et tient mon cœur

  1. Bernard de Ventadour, Quant erba vertz e fuelha par (M. W. I, 11 ; Gr., 39) ; id., La gens temps de pascor (M. W. I, 13 ; Gr., 28).
  2. Marcabrun, Pois l’iverns d’ogan es anatz (M. W. I, 57).
  3. J. Rudel, Quan lo rius de la fontana (M. W. I, 62 ; Gr., 5).
  4. Arnaut de Mareuil, Belh m’es quant lo vens (M. W. I, 155 ; Gr., 10).