Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/80

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combien le cœur de ma dame a changé, que je fais désaccorder les mots, la mélodie et le langage. » La cacophonie et le charabia avaient ainsi mission de dire ce que le cœur ne pouvait exprimer[1].

Beaucoup plus intéressants à étudier seraient d’autres genres lyriques comme les danses, les danses doubles, les ballades, les estampies. Ce sont là des genres qui paraissent avoir le mieux gardé le caractère populaire. Il y a telle ballade ou danse anonyme avec refrain qui ressembla encore à une ronde d’enfants. Mais les exemples de ces genres, si précieux qu’ils soient pour la critique, sont trop rares pour mériter ici plus qu’une rapide mention. Nous pouvons nous en tenir aux cinq genres principaux dont nous venons de décrire la forme.

Tel est, dans ses grandes lignes, le cadre où se meut la poésie des troubadours. Il est mince et grêle, en apparence. Les grands genres, ceux du moins que la critique moderne a qualifiés ainsi, en sont exclus. Mais on nous a appris, dans un vers lapidaire, la valeur d’un bon sonnet et un seul a suffi à la célébrité d’un de nos poètes contemporains. Jugeons donc les troubadours à cette mesure ; et, sans leur reprocher de n’avoir pas connu certains genres, faisons-leur un mérite d’avoir su traiter avec une incomparable maîtrise ceux qu’ils ont inventés. Faisons-leur surtout un titre de gloire d’avoir été les premiers, au début des littératures modernes, à comprendre la valeur de la forme en poésie, à en proclamer la nécessité, à donner des règles et des lois :

  1. Le descort de Raimbaut de Vaquières est composé de six strophes : la première en provençal, la seconde en italien (génois), la troisième en français, la quatrième en gascon, la cinquième probablement en portugais (Cf. sur le dernier point Carolina Michaelis de Vasconcellos, dans le Grundriss de Grœber, II, B, p. 173, Rem. 1).