Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/94

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Les troubadours n’ont pas de termes assez forts pour exalter la perfection de l’objet aimé. Leur dame se distingue de toutes les autres par la beauté et la grâce de son corps, mais encore par ses qualités morales ; elle est sage, « prude », comme dit l’ancienne langue française ; tous les dons du cœur et de l’esprit sont réunis en elle. « Comme la clarté du jour l’emporte sur toute autre clarté, ainsi, dame, il me semble que vous êtes au-dessus de toutes les femmes par votre beauté, par vos qualités et votre courtoisie. » (Rigaut de Barbezieux.)

Qu’on se rappelle maintenant le lien de vasselage amoureux inventé par les troubadours. Pour gagner la faveur d’un maître aussi parfait, ne faut-il pas rechercher la perfection ? Et les troubadours n’ont-ils pas raison de dire que l’amour ainsi conçu est un principe de moralité ? Tout se tient dans cette théorie : la perfection de l’amant suppose la perfection de l’objet aimé. Plus son idéal sera élevé, plus il grandira lui-même. Perfection littéraire, perfection morale sont les conséquences de l’amour parfait : la conception des troubadours étant admise, la conséquence est nécessaire.

Aussi cet amour n’est-il pas un amour déréglé, passionnel, comme nous dirions ; les lois auxquelles il est soumis se résument en une loi supérieure à toutes les autres, c’est la « mesure ». Penser, parler, agir avec « mesure », c’est-à-dire avec sagesse, connaissance, réflexion, c’est l’idéal où doit atteindre le parfait amant. De là découlent toutes les obligations